La paie a été pionnière en matière d’externalisation, mais après plus de trente ans de pratique, on se heurte toujours aux mêmes limites.
Peu importe les mots ou les sigles (hébergement applicatif, outsourcing, externalisation, BPO, …), en France, le périmètre d’externalisation de la paie ne bouge pas, ou très peu !
Hébergement des serveurs et de l’application chez un prestataire, parfois délégation de la maintenance corrective, évolutive, voire réglementaire, dans le meilleur des cas transfert de l’éditique et du déclaratif ; mais, quant à externaliser le processus de paie proprement dit, ça bloque !
Pire, lorsque le pas est franchi, il est fréquent de voir dans les 2 ans qui suivent un retour à une fonction paie en interne.
Pourtant, les offres de BPO sont sur le marché ; les prestataires proposent des schémas d’intervention plus larges (envisageant même parfois une reprise de personnel), à l’image de ce qui se fait déjà dans beaucoup d’autres pays européens mais, nouvelle manifestation de la trop fameuse exception française, la paie reste opérée en interne, et le marché rechigne à suivre ces offres élargies.
Plusieurs explications sont fréquemment données :
- un périmètre d’externalisation souvent mal défini, basé sur un manque de lucidité sur l’organisation réelle du processus en interne, ou sur une mauvaise compréhension du contenu précis de la prestation proposée,
- des difficultés sociales, notamment liées à la mise en application pour le moins délicate du L122-12,
- ou bien encore un projet mené avec une approche trop exclusivement « cost killing ».
Mais en réalité, la cause du problème est surtout opérationnelle, car l’externalisation du processus de paie a les implications suivantes :
- Au plan process, les EVP (éléments variables de paie) et les éléments de présence/absence sont à transmettre par l’entreprise vers le prestataire selon un format et avec un niveau de fiabilité qui, le plus souvent, implique que ces éléments soient tous vérifiés en interne avant envoi, ce qui maintient une part importante du travail dans l’entreprise.
- Au plan humain, les tâches de saisie des EVP, de production et de contrôle des paies, particulièrement sur les petites structures, sont souvent atomisées et ne constituent que rarement des temps complets ; de fait, leur transfert n’induit que rarement des suppressions effectives de postes. Et la nature ayant horreur du vide, on retrouve très rapidement un complément de travail au personnel partiellement dégagé des travaux de paie.
En conséquence, alors que la prestation s’alourdie de 50 à 100% chez le prestataire avec la reprise du processus, la réduction de charges et de postes associés n’est pas au rendez-vous.
Parlons solutions : nous ne partageons pas la préconisation classique qui recommande de préparer une externalisation en effectuant un premier palier de réorganisation en CSP ; c’est sans doute un facteur d’harmonisation et de centralisation des processus, mais qui ne résout pas le fond du problème. Le choix d’une organisation en mode CSP est une orientation stratégique en soi, et ne doit pas être pris comme une étape.
En matière d’externalisation, l’objectif primordial est d’externaliser globalement le processus ; l’élargissement de la couverture fonctionnelle des SIRH doit aider à atteindre ce but.
Dans cet esprit, l’externalisation du processus de paie doit être associée à la mise en place d’une solution applicative intégrée, couvrant Planification des ressources – Portail salarié – GTA – Paie. C’est le meilleur moyen de restructurer le processus et de gérer ainsi, avec le minimum de ressources internes et le maximum de fiabilité, la collecte des EVP et l’ensemble des événements de gestion administrative du personnel : seules des opérations comme la validation des demandes de congés, formulées par le salarié lui-même, ou les ajustements de présence/absence, seront à saisir par un administratif ou à valider par l’encadrement, avant d’être envoyés sans retraitement au prestataire.
Un portail salarié, également pris en charge par le prestataire, doit permettre d’assurer les prestations de gestion administrative (demande d’attestations, modification de la situation personnelle, informations diverses,…).
Ainsi, toute redondance de tâches entre les équipes internes et le prestataire peut-être supprimée.
La plupart des plateformes applicatives actuelles permettent ce type d’architecture et leur mise en place progressive et prioritairement au projet d’externalisation, permettra de gérer dans le temps l’impact social du projet d’externalisation.
En synthèse, le pré requis à une externalisation réussie du processus de paie n’est donc pas tant sa centralisation préalable en CSP, mais plutôt sa restructuration complète en s’appuyant sur une solution applicative intégrée qui servira de tremplin à l’externalisation du processus de paie chez un prestataire.
Auteur : Philippe MARTIN, Directeur, RH-Management
Bonjour,
Je partage en très grande partie votre analyse qui démontre une très bonne compréhension et évaluation de ces pratiques de BPO dans le domaine de la paie et de la gestion administrative du personnel.
Je partage moins votre avis sur l’absence d’évolution du périmètre des offres de service. A mon sens l’évolution des pratiques des décideurs RH et la mise en concurrence des offres des prestataires qui arrivent à maturité entrainent un nécessaire élargissement des services délivrés et des activités déléguées (comme la prise en charge du traitement complet des IJSS, la réponse aux salariés, les affiliations/radiations aux caisses de retraite, le registre du personnel, l’assistance au contrôle URSSAF, la dématérialisation du bulletin de paie, le paiement des salaires, etc.).
De même, le backsourcing (la réinternalisation après une expérience infructueuse de BPO) est rarissime. Statistiquement, il représente moins de 1% des cas.
Sur ce thème de l’externalisation RH (paie, recrutement, formation, administration, SIRH, etc.), je vous invite à consulter le site : http://externalisationrh.blogspot.com.
Thomas Chardin
Bonjour Thomas, et merci de ce commentaire rapide qui témoigne de votre intérêt pour le sujet et pour notre Blog RH Ineum.
Il y a sans doute une ambiguité dans mon propos, car mon observation au 2ème paragraphe, sur le périmètre d’externalisation qui ne bouge pas, concerne le périmètre externalisé par les clients et non pas l’offre des prestataires. A ce sujet, nous sommes en phase et mon 5ème paragraphe le confirme, les offres BPO sont sur le marché, avec un schéma d’intervention proposé de plus en plus large, mais les clients restent frileux.
Quant au backsourcing, mon propos ciblait le retour en interne de la fonction, et non pas l’hébergement applicatif, qui lui est effectivement très rare.
Encore merci de nourir ces échanges qui nous font progresser sur ces sujets au coeur de la transformation des entreprises.
Vous ne parlez que d’un processus informatique et de la paie hébergée et dans ce sens, vous avez sans doute raison. Mais dans le cadre d’une externalisation totale et d’une prestation de services intellectuels et d’une expertise liée à la prise en charge du service paie, votre raisonnement ne semble pas adapté.
Aussi, il me semble que vous soyez mal renseigné quant aux évolutions technologiques et au niveau croissant de prestations amont/aval qui sont proposés par certains prestataires
PS: le L122-12 n’existe plus depuis mai 2008
Bonjour,
Tout à fait exacte, l’article L122-12 de l’ancien Code du Travail a été notamment remplacé par les articles L1234-7, L1234-10, L1234-12, L1224-1 et L1224-2?
Compte tenu de cette manifeste simplification du code du travail….., je me suis permis de continuer à citer le L122-12 que tout le monde connait et afin de faire bref, mais mea culpa
Merci de la rectification
Bonjour Philippe,
Merci de ce retour. Au plaisir d’échanger sur ce sujet comme sur ces questions.
– Quels sont les activités de la fonction RH les plus externalisées ? Les plus externalisables ? Pourquoi ?
– Quels que soient les bénéfices de l’externalisation, les DRH en veulent-ils vraiment ?
– Le partage des activités RH (avec les managers opérationnels, avec des prestataires spécialisés) ne risque-t-il pas d’entrainer une fragmentation tellement parcellaire que cela entrainerait une virtualisation de la fonction RH ? Tous DRH = 0 DRH ? Ou finalement, l’exploration objective de toutes les voies de l’informatisation, de la productivité, de la rationalisation, de la mutualisation (que des mots sans trop de chaleur humaine) ne permettrait à la DRH de se consacrer à de la VRAIE gestion des Ressources Humaines ?
Thomas Chardin
Billet très instructif, je préciserais toutefois que le client peut mettre en oeuvre une procédure de consolidation et de contrôle des EVP vers le prestataire sans avoir à mettre en oeuvre une solution applicative appliquée.
Ceci dit je partage votre analyse sur l’importance d’une approche opérationnelle.
Bonjour à Tous, je partage les principaux points de ce billet.
Cependant, j’ajouterai également qu’il existe un manque de visibilité de certaines entreprises sur les différents avantages de la mise en oeuvre d’une stratégie d’externalisation (qui ne sont pas uniquement économiques). En effet, cette décision n’entraîne pas uniquement une « variabilisation » voire une réduction des coûts….des efforts en termes de communication et de « démonstration » doivent encore être faits à ce niveau
De plus, l’absence (ou la faiblesse) de visibilité interne sur ses propres processus d’élaboration de la paie (qui se caractérisent quelques fois par une complexité réelle, mais parfois par une complexité « entretenue » en interne) n’incite pas à l’externalisation.
Dans ce contexte, une remise à plat (dans une perspective d’externalisation) de l’organisation interne qui permettait préalablement de produire les bulletins de paie, combinée dans certains cas à la mise en oeuvre d’une solution applicative intégrée, me semble être un levier de développement de l’externalisation Paie (pour ne pas dire un incontournable et un facteur de succès)…sans oublier, bien entendu, la réalisation par le prestataire des « promesses » faites lors de la phase de conclusion du contrat d’externalisation (expertise, réactivité, qualité…)
Une externalisation n’est pas forcément toujours une réussite. Une étude de projet avant l’application de l’externalisation est nécessaire, le résultat de cette analyse dépend de l’adoption de l’externalisation sur l’entreprise. Car il faut savoir qu’une entreprise espère une réduction des charges en pratiquant l’externalisation et non le contraire.