Philippe Renard, Général de corps d’armée (2S), ancien DRH de l’Armée de Terre, aujourd’hui Senior Business Advisor chez Kurt Salmon, met en perspective les enjeux de la réforme de l’Administration publique et notamment leurs impacts sur les sites militaires français.
Quelle incidence la fermeture de site militaire peut-elle avoir sur la commune ou le territoire géographique qui l’entoure ?
La fermeture d’un site militaire signifie pour beaucoup de communes la perte décisive d’un poumon économique local. Qu’il s’agisse de militaires des 3 Armées ou de la gendarmerie, le militaire s’installe pour plusieurs années avec femmes et enfants et pèse de manière sensible sur l’activité économique et sociale de son environnement direct et indirect : crèches, écoles, hôpitaux, services publics, commerces de proximité, PME et TPE etc…
Les unités opérationnelles, par leurs activités et leurs besoins en sous-traitance, représentent en effet des débouchés économiques non négligeables voire essentiels et vitaux pour certaines communes, qui se chiffrent annuellement en millions d’euros.
Les exemples de communes « abandonnées » pour lesquelles le rebond vers un autre centre économique n’a pas été possible ou mal anticipé ou mal négocié, sont hélas nombreux.
Que faut-il retenir du statut professionnel du soldat ? En quoi le militaire est un acteur professionnel comme tout autre salarié du secteur public ou privé ?
Un militaire quel que soit son rang sera confronté à des problématiques de reconversion dans la vie professionnelle civile à plus ou moins long terme.
En dehors des officiers et de ses sous-officiers de carrière, l’armée de terre en particulier est constituée à 75% d’un corps de soldats jeunes, tous contractuels, qui peuvent bénéficier d’une retraite à jouissance immédiate après 17 ans et demi d’activité.
Cependant, le montant de cette retraite étant évidemment proportionnel aux années de cotisations, se pose alors pour une majorité de militaires rendus à la vie civile vers 38/40 ans la question essentielle de la reconversion, c’est-à-dire le retour à l’emploi dans le secteur privé.
Il s’agit d’un véritable défi au plan RH car la reconversion conditionne l’attractivité de ce métier à très fortes contraintes.
Il faut donc trouver les voies, moyens et réseaux pour reconvertir les militaires à un niveau correspondant à leurs attentes et à leurs appétences dans une sphère civile qui sera toujours demandeuse de compétences techniques ainsi que de collaborateurs qui auront suivi une formation continue tout au long de leurs parcours et qui seront en mesure de s’adapter facilement dans le cadre d’une activité salariée.
Quel est le rôle de l’Armée dans une politique de gestion des emplois et compétences au niveau national ?
L’Armée est par nature un important pourvoyeur de formations, notamment de formation initiale et continue, dans des métiers et filières à forte valeur ajoutée, souvent valorisables et transposables dans la sphère de l’entreprise.
Par la nature même de leurs métiers et de leurs missions, et par les volumes de leurs recrutements annuels, les armées sont probablement parmi les premiers employeurs nationaux à offrir des formations et des compétences professionnalisantes à des populations faiblement qualifiées au moment du recrutement (jeunes sans diplômes issus de milieux modestes ou de zones classées sensibles) et qui trouvent l’opportunité d’entrer « enfin » dans la vie active sur la base de critères de capacités individuelles physiques et mentales, de motivation et d’engagement personnel.
L’Armée a donc un véritable rôle à jouer dans le parcours professionnel de ces jeunes initialement peu qualifiés en ce sens qu’elle est, dans bien des cas, un premier employeur et un « fabriquant » de compétences techniques (ingénierie, mécanique, systèmes d’armes, logistique etc…) mais aussi un éducateur de savoir être qui façonne les postures indispensables à une intégration réussie dans le monde de l’entreprise (ponctualité, respect des consignes, régularité, capacité d’encadrement d’équipes, autonomie d’action, rigueur…)
On note également la nécessité d’accorder en amont les besoins de l’Armée et de ceux du monde de l’entreprise et de l’enseignement ?
Avec l’arrivée de matériels de nouvelle génération et de haute technologie, les armées ont parfaitement identifié dans le cadre de leur GPEEC la nécessité de disposer des compétences nouvelles et sensibles pour leur efficacité opérationnelle.
Il a donc fallu établir des passerelles avec le monde de l’éducation et de la formation professionnelle pour surmonter les difficultés potentielles de recrutement des profils rares et hautement qualifiés.
L’exemple des hélicoptères TIGRE et NH 90 est caractéristique. Aucun centre de formation militaire ou privé ne fournissant les compétences requises « sur étagère », l’armée de terre a identifié à Grenoble une école de maintenance aéronautique qui orientait ses étudiants exclusivement vers le vers le monde industriel. Un partenariat a alors été négocié puis signé, offrant à ces élèves des frais de scolarité pris en charge par l’Armée de terre, en contrepartie d’une contractualisation de ces élèves avec l’Armée pour les premières années dans la vie active, afin de disposer au moment voulu de la ressource attendue. C’est cette logique gagnant – gagnant qui est à valoriser (et qu’on retrouve notamment aux Etats Unis où bon nombre d’étudiants se voient payer leurs frais d’inscriptions dans les facultés américaines, en contrepartie d’années à servir sous les drapeaux.)
Quelle serait votre vision de la cartographie des sites militaires en France dans les prochaines années ?
La cartographie militaire va inévitablement subir de nouveaux ajustements, conséquences directes du nouveau Livre blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale et des objectifs d’économies qui seront assignés à l’automne dans le cadre de la nouvelle Loi de Programmation militaire.
De nouvelles unités seront probablement dissoutes avec, en corollaire, la fermeture de casernes et l’abandon de certaines garnisons.
Ces opérations de restructurations, lourdes et anxiogènes pour les régions concernées, ont une sensibilité politique évidente quant au choix des points d’application.
La carte militaire, tout comme pour les sites industriels en croissance ou en déclin, est un enjeu stratégique pour certains territoires en quête de revitalisation, d’attractivité ou de préservation de l’emploi, mais c’est aussi un enjeu économique pour les industries de défense et les multiples PME qui concourent au développement ou au maintien du potentiel militaire du pays, dans des secteurs où l’indépendance de production, de recherche et de décision demeurent essentiels comme l’aéronautique, les télécommunications, la numérisation du champ de bataille, le renseignement spatial et électromagnétique, les équipements terrestres et navals.
Les Armées, par leur rôle dans l’économie nationale et locale, leur rôle dans le recrutement des jeunes, leur poids en effectifs dans l’Administration publique, restent donc un pilier majeur du développement et de l’activité des territoires donc un espace de manoeuvre incontournable de la GPEC territoriale.
Interviewé : Philippe Renard, Senior Busines Advisor, RH-Management
Interview réalisé par Marc Godard, Senior Consultant, RH-Management