Le 8 septembre 2015, l’Institut Montaigne, Entreprise & Personnel et le cabinet August & Debouzy Avocats ont organisé les Entretiens de la cohésion sociale 2015 : Nouvelles formes d’emploi, nouveaux modes de représentation ?
Kurt Salmon, en la présence de Claude Bodeau, Associé en charge de la practice HRM et Philippe Got, Senior Business Advisor, étaient présents à cet événement très dense, organisé en 2 tables rondes, l’une sur les nouvelles formes de contrats dans la société post-industrielle, l’autre sur le dialogue social.
Pour traiter ces sujets au cœur des questionnements des entreprises et des partenaires sociaux, et de brûlante actualité à un moment où le tabou du code du travail semble vouloir être levé, en tout cas dans les recommandations du rapport Combrexelle, étaient « convoqués » après une ouverture de Pierre Gattaz, un ancien secrétaire d’Etat chargé du Commerce, de l’Artisanat, des PME, du Tourisme, des Services et de la Consommation, Hervé Novelli, un DRH de grand groupe, Pierre Deheunynck, DRH du Crédit Agricole, un secrétaire général de centrale syndicale, Jean-Paul Bouchet pour la CFDT Cadres, un professeur d’économie, Augustin Landier (Toulouse School of Economics), un spécialiste du recrutement, François Béharel, président du groupe Randstadt France, et une avocate spécialiste du droit du travail, Emmanuelle Barbara, du cabinet August&Debouzy Avocats. Madame Isabelle La Callennec, député Les Républicains d’Ille-et-Vilaine, et Thierry Pech, délégué général de Terra Nova concluaient les débats.
Des débats, sont sorties un certain nombre d’idées qui confortent l’analyse de Kurt Salmon sur ces questions :
Face aux évolutions sociétales et économiques que nous vivons à un rythme toujours plus élevé, le système contractuel régissant les liens statutaires et professionnels entre l’entreprise et ses collaborateurs, au sens large – non pas seulement ses salariés, mais aussi les indépendants qui contribuent à son business – doit résolument évoluer vers davantage de flexibilité. C’est un levier indispensable, parmi d’autres, pour que les formidables talents de nos jeunes générations puissent pleinement s’exprimer dans des entreprises plus compétitives, face à une concurrence étrangère qui évolue déjà avec des codes du travail déverrouillés et plus en phase avec les révolutions en cours.
Le monde change.
- Les ruptures technologiques que nous vivons (digitalisation) et leurs conséquences sociétales (ubérisation) nécessitent de réinventer un certain nombre de règles, devenues très compliquées et trop rigides et ne pouvant faire face à l’obsolescence des compétences dont le cycle s’est considérablement réduit (5 à 6 ans).
- La France, qui va mal, a néanmoins des atouts formidables, selon Pierre Gattaz. Parmi ces atouts, au premier chef les jeunes Français et leur créativité (50% souhaitent devenir entrepreneurs), mais aussi les start-up françaises, particulièrement performantes.
- Les mutations en cours (numérique, démographique, sociologique -générations Y et Z-, climatique et énergétique doivent être vécues comme une chance inouïe : le monde est à équiper (150 pays « marchés »).
Face à ces mutations, le monde du travail doit évoluer.
- Le code du travail régit un monde vertical et hiérarchique alors que la société s’horizontalise et s’ubérise sous la poussée des nouvelles technologies. Ce changement de sémantique est déjà plus ou moins pris en compte par le management qui place de plus en plus l’autonomie des collaborateurs au centre de ses pratiques managériales.
- Le code du travail doit donc rapidement évoluer, non pas pour interdire, mais pour accompagner les individus dans leurs aspirations à vivre « autrement » un rapport au travail désormais perçu obsolète.
- L’entreprise de demain sera donc celle qui fera coexister de manière harmonieuse, pour servir les intérêts des clients, des salariés et des indépendants, et qui favorisera, de manière fluide, le changement de statut.
- La question centrale d’une telle évolution est celle de l’accès à une protection sociale élargie, qui permettra à des salariés de pouvoir tenter, par inclinaison personnelle, l’aventure du freelance en maîtrisant les risques financiers liés à leur nouveau statut. Cette protection sociale élargie doit donc s’envisager dans sa globalité en associant notamment les secteurs bancaire (pour faciliter l’accession de crédits au non-salariés, par exemple) et immobilier (accès au logement). Sinon, comment gommer ce sentiment de précarité qui freine aujourd’hui ceux tentés par l’auto-entreprenariat ?
Un nouveau dialogue social, qui donne la primauté au dialogue de terrain, dans l’entreprise, doit voir le jour.
- Le dialogue social ne fonctionne pas bien. L’alignement de think tanks de tendance opposée tels Terra Nova et l’Institut Montaigne illustre l’unanimité faite autour de ce constat. Les syndicats eux-mêmes partagent ce point de vue, et pour la CFDT (Jean-Paul Bouchet), par exemple, il est urgent de revenir aux bases d’un dialogue professionnel, remettant l’individu, la question des compétences, l’appui professionnel à des individus au cœur.
- Pour le patronat (Pierre Deheunynck), l’urgence est d’inverser la hiérarchie des normes en donnant plus de poids à l’accord d’entreprise. La conception française du droit du travail est en effet très pyramidale. L’entreprise, à la base de la pyramide, ne dispose que d’une marge de manœuvre restreinte. Partir du terrain en donnant la primauté à l’accord d’entreprise sur le code du travail (proposition phare du rapport Combrexelle) et recourir si nécessaire aux échelons centraux (Etat, centrales syndicales) en cas d’échec semble être une piste suscitant actuellement un certain consensus.
- Mais cette rénovation ne se fera pas sans changer de méthodologie (Pierre Deheunynck). La faible représentativité des syndicats (moins de 7% de syndicalisation en France, 20% en Allemagne, 25% au Royaume Uni, 55% en Belgique, plus de 65% dans les pays scandinaves, la moyenne de l’OCDE étant de 17%) constitue l’un des freins à une rénovation rapide du dialogue social. Une autre difficulté consiste en l’incapacité actuelle à prendre en compte des besoins transversaux (l’ouverture des magasins le dimanche par exemple, qui suscite actuellement la controverse malgré le vote de la loi). Pour pallier à cette incapacité, pourquoi ne pas se donner les moyens d’expérimenter sans pour autant avoir à modifier le code du travail, chaque fois qu’un besoin avéré répondant à des évolutions sociétales incontestables se fait jour ?
Si l’on ne devait retenir qu’une seule idée de ce colloque passionnant, ce serait que la clé du déverrouillage des blocages actuels qui freinent la compétitivité française, réside dans notre capacité (ou non) à bâtir un système où les individus seraient amenés à contractualiser eux-mêmes avec leurs entreprises leurs conditions de travail dans le respect de garde-fous permettant de sécuriser le collectif, dans un monde du travail où l’entreprise serait, bien plus qu’aujourd’hui, au cœur d’un dialogue social profondément rénové.
Auteurs : Claude Bodeau, Associé RH-Management, Philippe Got, Senior Business Advisor