Le projet de déménagement ou de réaménagement des espaces de travail est avant tout un projet de transformation d’entreprise et comme tout projet d’entreprise, il se base et soutient une vision que l’entreprise cherche à développer.
Le projet immobilier devient une priorité pour des raisons variées : une fusion – acquisition, le rapprochement d’équipes aux cultures, pratiques et niveaux de performance différents, la nécessité de réduire les espaces, dégager une économie d’un point de vue foncier, profiter de la fin d’un bail trop onéreux ou obligation à devoir quitter un site pour des raisons sanitaires … Le projet de déménagement / réaménagement se positionne à la suite logique de décisions motivées par un raisonnement économique et business.
Le déménagement ou réaménagement fait partie des travaux de conciliation entre une stratégie d’entreprise d’un côté et de l’autre, la représentation immobilière et matérielle que les collaborateurs se feront du projet d’entreprise auquel il leur est demandé d’adhérer.
La Direction de l’entreprise, représentée par un COMEX ou CODIR, doit prendre la mesure de l’enjeu du déménagement ou de la refonte des espaces de travail, tout en faisant communier plusieurs influences et logiques managériales.
La Direction Immobilière est de principe tournée vers une tendance naturelle à voir un déménagement comme l’opportunité d’optimiser le coût d’occupation des locaux, la Direction Financière restera elle aussi attentive à cette logique Business Case, la DRH sera, quant à elle, davantage tournée vers la qualité de vie au travail, la refonte des modes de management, l’intégration des pratiques digitales, …
Les deux influences (économique et capital humain) vont de pair : l’économique ne peut ignorer l’impact humain du projet et la vocation sociale et managériale génère des coûts qui nécessitent d’apposer des gains pour aboutir à un certain équilibre financier voire à un retour sur investissement.
Le projet posera rapidement des questions de fonds, imposant que la Vision donne de la visibilité d’orientations significatives : la réduction des espaces, la fin des bureaux fermés et l’introduction des espaces ouverts, la digitalisation des pratiques, la relocalisation dans une zone géographique et un environnement différents, …
Comme pour toute transformation, le projet sera d’autant plus facilité qu’il reposera sur une vision clairement définie de ce que l’entreprise ambitionne de devenir ou les objectifs qu’elle souhaite atteindre. Pour porter la vision dans le temps, l’instance dirigeante (COMEX, CODIR, …) devra faire preuve de constance et être alignée sur les enjeux du projet et la démarche à appliquer pour le réaliser.
C’est parfois le fait du Prince que de décider d’un déménagement ou en apparence cela peut apparaitre comme tel aux collaborateurs qui ne percevraient pas un projet de cette nature comme une évidence ou une priorité.
En effet, chercher à mettre en place une concertation généralisée autour du projet est peut être le meilleur moyen de réduire les chances de le voir se concrétiser dans les jours à venir. Les Dirigeants en ont conscience et passent parfois outre. Le propos n’est pas de passer outre la communication sociale aux IRP ou d’instaurer une démarche collaborative. Il s’agit davantage de considérer que dans un grand nombre de cas, les collaborateurs n’émettront pas le besoin de déménager, ni même n’auront la capacité d’imaginer un nouvel environnement et de se projeter dans une cible en rupture avec le modèle historique de fonctionnement et d’environnement. C’est à ce moment précis que la décision unilatérale du dirigeant d’entreprise est décisive. C’est à ce moment-là aussi que la vision du projet doit être prête car une fois l’annonce du projet communiquée, l’entreprise entrera dans une zone de turbulence plus ou moins forte.
Certains cas sont éloquents : Un Président qui annonce le déménagement à une convention Managers sans avoir consulté le corps social au préalable … Un Président qui annonce que le projet sera matérialisé d’ici 18 mois alors même qu’aucune recherche de site cible n’a encore été lancée…
Les décideurs se donnent alors un challenge mais ce n’est au final rien d’autre qu’un geste managérial qui vise à promouvoir une idée alors que la majorité des avis se tournerait spontanément vers le « Surtout, ne changez rien » si les collaborateurs avaient à choisir.
Le seul risque que le Dirigeant prend en compte est le délit d’entrave. Tant qu’aucun acte n’engage de manière irréversible l’avenir et la responsabilité de la société, la sanction n’existe pas. Toute la communication sociale à venir résidera alors à suivre une procédure d’information consultation des IRP sur le projet, pour en obtenir la réalisation vaille que vaille.
Pour construire sa Vision, le COMEX / CODIR doit travailler collectivement et prendre des orientations. Travailler de manière disruptive en comité restreint par des ateliers de réflexion / de co-création de ce que doit être l’organisation cible, les valeurs, les pratiques de demain. Le benchmark national ou international des pratiques est souvent une information précieuse pour alimenter la réflexion, comprendre les tendances de demain, se rendre témoin des pratiques les plus innovantes en se rendant chez des entreprises dont les projets ont marqué, et apparaissent comme des références … Faire ou défaire les a priori, se forger une conviction propre pour déterminer ce qui correspond le mieux à l’entreprise, son image, sa capacité de changement, prendre le pas sur l’environnement externe (la concurrence, la réglementation, …) et envoyer un signal au marché notamment par le biais de la marque employeur.
Déménager est un acte stratégique, il fait donc appel à l’utilisation d’une méthode qui détermine la contribution du déménagement dans la chaine de valeur globale de l’entreprise. Le déménagement est résolument une étape clé d’une trajectoire plus globale de la stratégie du Groupe.
Le déménagement suit lui-même une trajectoire de changement de la refonte des espaces et des modes de management et il n’est pas acquis de passer directement d’une situation relativement passéiste de l’organisation à un modèle complètement en rupture et innovant. Le changement se fait donc étape par étape.
Si l’entreprise évolue en espaces fermés, conduire un projet de mise en place d’espaces ouverts et partagés représente déjà un jalon de taille. Réfléchir à la possibilité de passer en Flex desk avec des postes de travail non affectés en permanence et un ratio de capacité d’accueil limité à 70%, est déjà un signal fort.
Une étape non négligeable tel que le Flex Desk, ne s’adressera pas aux entreprises qui ne sont qu’au début de leur plan de transformation. Le Flex Desk n’est d’ailleurs pas une fin en soi mais marque le point d’orgue d’une situation où l’essentiel de la vie professionnelle des collaborateurs peut se passer en dehors d’un bureau dédié par des modes de travail qui reposent par exemple sur les tiers lieux, le télétravail …
Le projet sera d’autant plus simple à conduire que la conviction forte qui a animé le déclenchement du projet et a porté l’ambition de la Direction à un certain niveau, reste constante dans le temps. En effet, beaucoup de dirigeants se retrouvent confrontés, comme c’est le cas dans d’autres projets de transformation, aux tensions et politiques internes qui peuvent réduire l’ambition initiale de la démarche. Le projet est alors plafonné et limité par la réalité économique et sociale de l’entreprise. Assurer le transfert logistique (le déménagement au sens « carton ») s’avérera alors un objectif déjà suffisant pour des décideurs qui verront leurs ambitions à la baisse et sécuriseront au moins le minimum attendu.
Parmi les sujets à traiter par la Direction et à ne pas négliger, la volonté cachée de réduire les effectifs est spontanément un sujet auquel les collaborateurs font référence ou se tournent spontanément. Un autre sujet sera spontanément le rapport au lieu et au temps, induits par des sujets comme l’augmentation du temps de transport moyen pour se rendre sur le nouveau site, et les attentes que cela génère auprès des collaborateurs en termes de mesures d’accompagnement et de maturité des opportunités créées autour du déménagement comme le Télétravail, les nouvelles règles d’organisation, le droit à la déconnexion, le recours aux Tiers Lieux …
Le COMEX ou CODIR doit montrer ainsi son unité et ne pas céder : maintenir l’ambition coûte que coûte, sur la superficie en m² par salarié, sur le fait d’abandonner les bureaux fermés, de passer en Flex Desk, de mettre les managers au milieu de leurs équipes, de proposer un matériel digital innovant, de supprimer les postes fixes, …
La direction générale devra inciter aussi à accélérer les réflexions et travaux en cours sur l’évolution des modes de management, les pratiques managériales, les synergies entre équipes et les moyens à déployer (Télétravail, …). Une fois le projet conclu au sens logistique, les opportunités d’amélioration continue sont essentiellement de l’ordre de la politique RH qui porte tous ces sujets et les accompagne dans le temps. Le DRH est définitivement un acteur incontournable dans la réflexion des décideurs et dans le rôle à tenir dans le cadre d’un pareil projet.
Les Décideurs doivent également être en capacité de se reposer sur un modèle de gouvernance efficient et de déléguer à une équipe Projet dédiée la réalisation, le suivi et la remontée des arbitrages tout au long du projet, dans une véritable démarche de pilotage où chaque Direction doit contribuer et jouer un rôle. Le DRH peut prendre la responsabilité de cette animation transverse, en sponsorisant le pilotage du projet au-delà des aspects immobiliers, techniques ou digitaux.
La Vision du Décideur nécessitera le plus souvent un accompagnement amont qui facilitera la prise en compte de toutes ces réflexions et synthétisera en un plan d’actions structuré la feuille de route du projet de déménagement, amenant à conceptualiser et à véhiculer la « Belle histoire » autour d’un projet à imaginer comme un projet global en appui au projet stratégique d’entreprise.
Auteur : Marc GODARD – Manager