Depuis sa rédaction, la Loi Travail ne cesse de porter des débats. Notre veille sur le sujet nous a ainsi amené à participer à la conférence du cabinet d’avocats August et Debousy le 12/05/2016 dont le thème portait sur la gestion du contentieux en droit du licenciement économique et les conséquences potentielles d’une évolution législative.
Rassemblant une cinquantaine de professionnels des ressources humaines, les débats se sont structurés autour d’une étude réalisée par le bureau AvoSial et le cabinet Microeconomix sur un panel de plus de 800 entreprises, pendant une période de 10 ans.
Une jurisprudence nettement défavorable aux groupes
Une première synthèse des résultats de l’enquête met en exergue 2 réalités fréquemment connues des DRH :
– Le taux de succès des contentieux individuels portés par les salariés est fort (2/3 des recours) ;
– Ce taux tend à s’accroitre lorsque le recours se fait contre une entreprise appartenant à un groupe.
Plusieurs questions se posent alors : comment expliquer cette sur-condamnation des entreprises appartenant à un Groupe ? Les critères légaux d’appréciation des difficultés économiques d’entreprise pourraient-ils être considérés comme défavorables aux Groupes ? Et surtout, dans le contexte actuel, la Loi Travail apportera-t-elle une évolution dans la gestion des contentieux ?
L’analyse de l’existant montre que lors d’un contentieux, il pèse sur l’employeur la charge de la preuve du caractère réel et sérieux de la cause économique. En ce sens, le régime juridique actuel, dense en la matière, définit ainsi 3 conditions cumulatives de recours à un licenciement économique collectif :
– La justification du motif économique de licenciement ; à savoir des difficultés économiques, de mutations technologiques, d’une cessation d’activité ou d’une réorganisation destinée à sauvegarder sa compétitivité ;
– L’établissement de la suppression des postes des salariés licenciés, de leur modification substantielle ou d’une transformation des emplois refusée;
– La démonstration de l’impossibilité de reclassement des salariés dans l’entreprise, ou, le cas échéant, dans le groupe auquel elle appartient.
Or, depuis 1995, la majorité des contentieux s’est cristallisée sur le périmètre d’appréciation de ces difficultés économiques ; autrement dit, sur la question de savoir si ce dernier doit être circonstancié aux résultats et à l’activité de l’entreprise, ou intégrer plus largement le périmètre consolidé du Groupe auquel elle appartient.
Sur ce point, la plupart des arrêts précisent que lorsque l’entreprise appartient à un groupe, les difficultés doivent s’apprécier au niveau du groupe, dans la limite du secteur d’activité auquel appartient l’entreprise.
En clair, les difficultés de l’entreprise ne peuvent suffire à justifier un licenciement économique si le secteur d’activité, en France ou à l’étranger du groupe auquel elle appartient, n’en connaît pas.
Quelles évolutions propose le Projet de Loi Travail ?
Après de nombreux amendements, le projet de loi Travail ne prévoit pas à date de modification en ce qui concerne le périmètre d’appréciation des difficultés économiques…
S’il fût un temps question de cantonner ce périmètre au niveau national, le gouvernement a finalement opté pour l’abandon de cette proposition. Le juge continuera donc de prendre en compte la dimension européenne ou mondiale dans le cadre d’un secteur d’activité.
Toutefois, l’article 30 du projet de loi, sur lequel le Gouvernement a engagé sa responsabilité, prévoit des critères différents selon la taille de l’entreprise en ce qui concerne la démonstration matérielle des difficultés économiques, en l’occurrence :
– Une baisse « significative » des commandes ou du chiffre d’affaires devra être démontrée… ;
– Sur un trimestre pour les entreprises jusqu’à 10 salariés… ;
– Mais sur quatre trimestres consécutifs au minimum pour les entreprises composées de 300 salariés et plus.
A quels changements techniques nous attendre ?
Concernant le cadre d’appréciation des difficultés économiques d’une entreprise, aucune évolution législative majeure n’est donc à prévoir.
En revanche, et à notre avis :
– Quand bien même la jurisprudence souhaiterait coller au choix de gestion de l’employeur en sanctionnant en proportion à l’avantage généré par la création d’une structure intégrée, l’hypothèse d’une solidarité absolue et permanente entre les entités d’un groupe peut être problématique face à une concurrence qui reste perceptible en amont et en aval du corps d’activité ;
– De surcroît, après vingt ans d’existence, la notion de secteur d’activité n’a jamais fait l’objet d’une définition stable, se cantonnant à une appréciation au cas par cas des juges.
Ainsi, un risque de décorrélation existe entre la réalité économique opérationnelle et la reconnaissance juridique d’une segmentation par type d’activité. On comprend alors aisément la complexité pour les employeurs à démontrer matériellement ces difficultés économiques au sein de secteurs d’activités de plus en plus souvent mondialisés…
Retrouvez très prochainement la suite de nos pistes de réflexions sur l’évolution de la gestion des contentieux et sur l’évolution des critères d’appréciation du licenciement économique.
Auteur : Guillaume Duchesne, Analyste