Bientôt un an après l’entrée en vigueur d’un droit à la déconnexion s’appliquant à tous les salariés (ou presque) en France, c’est l’heure des premiers bilans pour les entreprises ayant instauré des mesures visant à assurer le respect des temps de repos et de congés ainsi que l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.
Le droit à la déconnexion, kesako ?
Bien qu’aucune définition officielle n’existe, on peut résumer le droit à la déconnexion comme étant la possibilité pour un salarié de bénéficier de périodes sans aucun contact avec son activité professionnelle. Ne pas se connecter aux outils numériques professionnels et ne pas être contacté par son employeur en dehors de son temps de travail (congés payés, jours de RTT, week-end, soirées…) devient alors un droit à part entière. Si a priori, un tel droit semble aller de soi, l’expliciter est devenu nécessaire.
L’enquête menée par l’institut IFOP à l’été 2017 est révélatrice : 78% des cadres consultent mails et SMS professionnels pendant leur temps libre. Bien qu’apportant un meilleur confort et plus de flexibilité, de ces nouvelles méthodes de travail ont émergé de nouveaux risques :
- Blurring (porosité de la frontière entre vie privée et vie professionnelle)
- Apparition de nouvelles tâches chronophages liées à la mise en place et à l’utilisation de nouveaux outils
- Intensification du rythme de travail et de la sensation d’urgence due à l’augmentation en volume et en fréquence de la circulation de l’information
- Morcellement de l’activité résultant de la multiplication des sollicitations via tous types de supports
- Fatigue visuelle causée par l’utilisation prolongée de supports digitaux
Compte tenu de ces risques et de leurs impacts potentiels sur la productivité (baisse de la capacité de concentration, de réflexion et de prise de décision) et sur la santé (fatigue, stress), le droit à la déconnexion a été introduit dans le droit du travail à l’été 2016.
Ce que dit la loi :
Issu du chapitre « Adaptation du droit du travail à l’ère du numérique », l’article 55 de la loi El-Khomri s’applique aux entreprises de plus de 50 salariés. Ce-dernier doit faire l’objet d’une négociation avec les partenaires sociaux sur « les modalités du plein exercice par le salarié du droit à la déconnexion et la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques. A défaut d’accord, l’employeur élabore une charte, après avis du comité d’entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel. Cette charte définit ces modalités de l’exercice du droit à la déconnexion et prévoit en outre la mise en œuvre, à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction, d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques. » Non contraignante, cette loi a été suivie de divers types d’actions allant de la simple recommandation jusqu’à l’obligation de déconnexion.
Une réelle prise de conscience
Indépendamment des obligations légales, diverses initiatives ont été mises en œuvre au sein de grands groupes afin d’empêcher les effets négatifs de l’hyperconnexion. On peut par exemple citer La Poste qui a mis en place une plage de déconnexion pour certains de ses salariés entre 20h et 7h30 du matin. L’envoi d’un mail sur ce créneau entraine alors l’ouverture d’une fenêtre de dialogue demandant si l’envoi est lié ou non à une circonstance exceptionnelle. Si tel n’est pas le cas, l’envoi du mail est différé. Autre exemple avec Engie qui a décidé de bloquer l’accès aux boîtes mail en dehors des horaires de travail. Une application proposant trois solutions : ne jamais bloquer les e-mails, ne les recevoir que les jours ouvrés 24 heures sur 24, ou alors n’avoir accès à ses e-mails que pendant les heures ouvrées (de 7 heures à 20 heures) a alors été mise en place. Ces initiatives, que l’on ne peut que saluer, constituent une première étape dans l’application du droit à la déconnexion. Toutefois, l’existence de moyens de contournement tels que l’utilisation d’une autre adresse mail par exemple oblige à compléter ces dispositifs par d’autres mesures, tout en y impliquant les collaborateurs.
Comment structurer les pratiques digitales pour en faire un levier de performance et de qualité du travail ?
Avant toute chose, un diagnostic de la situation propre de l’entreprise doit être organisé afin de mieux prendre en compte ses spécificités. Il doit notamment proposer un éclairage objectif et détaillé des pratiques et risques potentiels liés à l’hyper connexion en dehors et pendant le temps de travail. Cette démarche s’inscrivant dans une problématique plus vaste d’usage des outils numériques et des évolutions qu’ils apportent à l’entreprise, de multiples aspects doivent être pris en compte. On peut par exemple citer des aspects techniques (usage du matériel, réponse aux emails le week-end, sécurité des données…), organisationnels (amplitude horaire, identification des processus), culturels (valeur et sens des salariés, identité de l’entreprise, relation client), managériaux (mode de pilotage, style de management, accompagnement à distance…) ou d’autres liés aux conditions de travail (appropriation de l’environnement de travail et des modalités de collaboration, télétravail, flexibilité des horaires…). Pour réussir dans la durée, les plans d’actions résultant de ce diagnostic doivent être co-construits avec les parties prenantes, s’appuyer sur les managers opérationnels et être sponsorisés par le CODIR.
En résumé, le droit à la déconnexion représente un enjeu crucial pour les entreprises, à l’heure où l’agilité et les questions relatives à la qualité de vie au travail occupent une place croissante. Trop souvent (et à tort) réduit au temps passé en dehors du travail, il les invite à repenser leur modèle organisationnel et managérial afin de rendre possibles les promesses du digital working.
Paul Badiou, Consultant Wavestone People & Change
Morgane Poupard, Consultante Wavestone People & Change