Face au challenge que représente l’accompagnement d’un changement devenu permanent et à l’injonction faite aux managers d’être avant tout des leaders et des meneurs d’hommes, la notion de leadership n’a cessé d’être au cœur des études et réflexions en matière de Ressources Humaines et de management.
Longtemps, le manager a été considéré comme un surhomme capable de définir une vision stratégique, de décider seul, de guider et d’accompagner ses équipes, d’être un bon organisateur et réalisateur, en plus d’être un excellent communiquant. La rationalité était la règle et aucune faille ne pouvait être manifestée. Confrontée à la réalité, cette image et cette attente du manager tout-puissant s’est progressivement effritée dans les esprits. Est arrivée alors l’apologie de l’intelligence émotionnelle, de la nécessité du développement personnel au service de l’efficacité professionnelle. C’est alors que le coaching est devenu un recours pour aider un manager à mieux se connaitre, à prendre conscience de ses limites, à développer sa lucidité et à mieux prendre en compte la réalité et l’opinion des autres.
Ainsi, le mythe du manager super héros a laissé la place au manager authentique ou manager vrai. Un manager en accord avec ses valeurs, qui ne s’inscrit pas dans la conformité d’une image supposée attendue de lui.
Phénomène de mode ou pas, cette authenticité peut permettre aux individus de s’extraire de tensions internes en ayant la possibilité de se montrer tel qu’ils sont. En effet, le manager peut évoquer et agir en cohérence avec ses valeurs et ses objectifs. Cette possibilité a des impacts sur les collaborateurs qui étaient également mis sous tension en raison de la recherche de la perfection et du succès à tout prix de leur direction.
Cependant, cette authenticité a quelques revers. Sous couvert d’authenticité, certains individus peuvent par exemple imposer un style de management autoritaire sans remise en question. Cette forme d’authenticité conduit alors à un repli sur soi et à une créativité en berne. Par ailleurs, encourager l’authenticité, avec son corollaire qu’est la vérité, fait abstraction des impacts des jeux politiques et de pouvoir qui ont cours dans les organisations. Tout en poussant leurs managers vers ce nouveau modèle, les entreprises sont loin d’être prêtes à accepter et faire vivre les différences et la non-conformité. Enfin, le risque de promouvoir une authenticité qui renvoie à une image de fidélité à soi-même est d’écarter la vision dynamique de l’individu, cheminant et évoluant grâce, entre autres, à son environnement.
Consultantes en ressources humaines et management au sein du cabinet Wavestone, nous avons souhaité appréhender au travers de l’expérience ce que pourrait recouvrir le management dit authentique en interrogeant une femme, manager. Nous rencontrons donc Cécile Lière, Responsable de l’accompagnement managérial des Directeurs d’établissement, après avoir été manager d’un établissement de 1500 personnes au sein du groupe SNCF. Nous l’avons interrogée sur sa vision de l’authenticité.
D’après votre expérience, qu’est-ce que l’authenticité en management ?
Cécile Lière : Ma réflexion m’a d’abord amenée à me questionner sur ce que l’authenticité n’était pas, d’un point de vue personnel. Etre authentique ne signifie pas simplement « être soi-même », et ce n’est pas non plus être complètement transparent. Je pense qu’un manager ne peut pas tout dire, il est une interface entre des équipes et une direction et il est de sa responsabilité de mesurer ce qu’il dit, à qui, à quel moment et de quelle manière.
Je me suis donc questionnée sur le type d’authenticité que je recherchais, je savais que je ne recherchais pas une authenticité qui permet de s’assumer soi, au détriment des autres. Finalement l’authenticité qui m’intéresse est une authenticité qui soit porteuse, qui mobilise les collaborateurs pour l’atteinte d’un objectif positivement et non sous une pression excessive. Pour moi, le plus important chez un manager authentique c’est de manager avec bienveillance, d’afficher ses valeurs et de parler vrai. C’est être congruent, c’est-à-dire que l’écart entre ce que je suis, ce que je dis et ce que je fais est le plus réduit possible. Je respecte mes équipes car il y a une cohérence entre ce que je suis réellement, mes convictions et ce que j’affiche. Je suis convaincue que les gens le sentent d’une façon ou d’une autre et que c’est un facteur d’engagement.
Mais, ce n’est pas toujours facile d’oser parler vrai…
Effectivement, un manager authentique se construit grâce au courage managérial, c’est-à-dire oser dire ce qui va, ce qui devrait aller mieux, et avoir le courage de défendre ses convictions. Je pense qu’il se construit également grâce à la lisibilité et la constance de son comportement pour ses équipes. Dans ma conception des choses un manager authentique a aussi pour rôle de rassurer et de créer la confiance. Quand je parle de bienveillance, j’entends par là, la volonté constante de faire progresser ses collaborateurs tant au niveau individuel que collectif. Je suis convaincue que dès lors qu’on « perd un peu de temps » à s’occuper des gens, on en gagne en efficacité collective. Un manager authentique pour moi, c’est également une personne humble, qui possède une forte capacité d’adaptation et de remise en question. La perfection managériale n’existe pas et il faut accepter qui l’on est et notre propre fonctionnement pour avoir une communication et une posture authentique.
Au fond, je dirai qu’être authentique c’est avoir une démarche constante de développement personnel, pour être en capacité de proposer une relation authentique, d’humain à humain.
Quel(s) liens(s) faites-vous entre authenticité, performance et bien-être ?
Cécile Lière : L’authenticité est porteuse en termes d’engagement des équipes et de mobilisation positive des collaborateurs dans l’atteinte d’un objectif. Je suis convaincue qu’une équipe vous suit volontairement si vous êtes sincère, juste et exemplaire dans les paroles et les actes. L’authenticité permet d’obtenir un engagement plus pérenne des équipes, et a un impact sur leur bien-être et leur performance : en 2015, les taux d’engagement des dirigeants de proximité dans les établissements de la SNCF étaient en moyenne de 46% en France, de 35% en Ile-de-France et de 74% dans mon établissement. Un collaborateur engagé est bien souvent un collaborateur plus performant. Tous nos indicateurs de production et de service étaient également au vert.
Comment appliquer authentiquement une décision avec laquelle on est en désaccord ?
Cécile Lière : Peut-être en étant authentiquement soi dans une relation saine, équilibrée, respectueuse de l’autre et dans laquelle on affiche ses émotions ou ses difficultés. Je pense qu’on peut porter des décisions complexes, tout en étant soi. On peut être juste dans la relation, même si on n’est pas en accord avec le message qu’on doit faire passer en mettant des mots sur les émotions que suscite ce message.
J’ai souvent cherché à nommer les émotions de mes interlocuteurs pour avancer dans des entretiens difficiles. J’ai découvert la Communication Non-Violente et c’est assez puissant en relation sociale ou individuelle. Dire les émotions, ce n’est pas faire de démonstration émotionnelle. Si on laisse sortir une émotion sans maîtrise, c’est toujours à notre détriment en entreprise, mais la nommer, sans pour autant la manifester, permet de ne plus se laisser envahir soi-même et d’en libérer l’autre. La communication devient alors beaucoup plus puissante et permet de proposer un autre type de relation.
Je suis convaincue que ce style de management doit faire sa place. C’est un management qui demande beaucoup de lucidité sur soi, un certain courage et du travail. Mais ça semble être en train de s’installer. Je pense que de plus en plus de managers ont compris l’intérêt de se développer personnellement pour être plus agile au service de leurs équipes.
Quel regard portez-vous sur le rôle des Directions RH dans l’accompagnement managérial ?
Cécile Lière : Les Directions des Ressources Humaines ont pour responsabilité de conseiller, d’accompagner et de faire grandir les collaborateurs d’une organisation. Elles doivent favoriser les opportunités de formation, de réflexion et être à l’avant-garde des tendances. Le rôle de la DRH dans ce parcours vers un management authentique est aussi de soutenir et de promouvoir ce style de management.
Quelques conseils donneriez-vous à de jeunes managers sensibles à la notion « d’authenticité » ?
Cécile Lière : Avec du recul, je considère aujourd’hui qu’aucun modèle n’est mieux que les autres. Pour ma part je n’avais pas identifié que je pouvais être perçue comme un manager authentique avant que vous ne me sollicitiez. Je pense que démarrer par une première étape de connaissance de soi à travers des tests, du coaching, des mises en situations permet de prendre de la hauteur, cette posture où l’on s’observe. Savoir ce qui nous anime en identifiant nos leviers de motivations est la base d’un management authentique. C’est ce qui permet d’optimiser ses qualités et de travailler sur ses défauts, tout en gardant à l’esprit qu’il vaut mieux développer ses qualités plutôt que de lisser ses défauts, car ce sont elles qui font notre spécificité.
L’objectif final du manager est la réussite collective par l’épanouissement individuel des membres de l’équipe. Prendre des risques permet également d’apprendre par la difficulté et l’erreur, tout en n’hésitant pas à se faire aider par d’autres personnes plus expérimentées.
Dès lors, cet entretien riche avec cette manager passionnée nous invite à une réflexion quant à la nécessité pour les DRH de se saisir de cet engouement pour l’authenticité, de ses atouts, de ses limites, de ses conditions d’exercice et de se questionner sur l’accompagnement adéquat visant l’épanouissement de ses managers et collaborateurs.
Pour aller plus loin, Cécile Lière nous fait part de ses références :
- Cessez d’être gentil, soyez vrai de Thomas d’Ansembourg : ouvrage sur la communication non-violente
- Gérer les ingérables de Jean-Edouard Grésy : ouvrage sur la gestion des situations et des négociations difficiles
- Comment leur dire… La process communication, Gérard Colignon : ouvrage sur les 7 typologies de personnalité pour une meilleure compréhension des interactions humaines
- Les quatre accords Toltèques : La voie de la liberté personnelle de Don Miguel Ruiz : le cœur de l’ouvrage décrivant les 4 accords est un guide pour vivre avec simplicité et sérénité ses relations professionnelles et personnelles.
Auteurs : Marine Lebastard et Caroline Noailly, Consultante People & Change