Le leadership est une compétence nécessaire aux managers de proximité qui doivent gérer les opérations et transférer la demande de performance chaque jour. Certains exercent d’ailleurs ce pouvoir sans avoir à proprement parlé de leadership reconnu. Désormais les manager se demandent parfois comment exercer le pouvoir tout en gérant ses effets psychologiques sur les femmes et les hommes dans leur équipe? Il y a plusieurs façons de répondre à cette question.
Le rapport entre l’expérience réelle et notre projection de la réalité est celui de deux dimensions totalement hétérogènes. Nous savons que la manière dont un manager opère son management est fondée sur un système de croyance. Dans un précédent article en cours de publication « Leadership and social performance, 7 pitfalls and 7 counterintuitive answers » (disponible par mail sur demande) nous avons mis en avant 7 dimensions clés du management de proximité. Ces 7 dimensions réclament souvent une prise de conscience qui passe par l’abandon de croyances couramment admises. Au fond la culture managériale dans la pratique s’appuie souvent sur le bon sens et la culture de nos grand-mères voir la culture de la rue le tout mêlée à un peu de bon sens. C’est la raison pour laquelle nous militons pour un fondement scientifique, basé sur des études et des protocoles de recherche à même de fonder des vérités scientifiques et non de permettre le renflouement de croyances supplémentaires.
Le développement des managers réclame que soit mise en œuvre des capacités créatives. Les dernières recherches sur les modèles cognitifs montrent que c’est dans la complexité qu’apparaissent les idées les plus ingénieuses. Elles sont généralement le résultat non pas d’une déduction, mais d’une accumulation de connaissances qui ouvre le chemin à la découverte, généralement sur une base inductive et analogique. Le premier écueil à éviter est de croire que les bonnes solutions pour le développement managérial sont spontanées, alors qu’elles émergent dans la confusion de l’expérience. Cette première dimension nous éloigne de la croyance selon laquelle au fond tout est simple. Pour tous managers de proximité, la réalité à accepter ici serait qu’il faut chercher la complexité pour rencontrer le « saut » créatif…
La seconde dimension que nous repérons est celle du rapport de la santé à la performance, notamment sur le plan psychologique. Alors qu’au siècle dernier, la souffrance liée au travail était essentiellement physique, elle est devenue aujourd’hui mentale sans parfois de symptômes organiques apparents, dans le langage médical on parle de «sine materia». La performance en soit n’est pas dangereuse pour la santé. Chacun peut noter que sortie d’une situation stressante, la souffrance psychologique résidant principalement dans la crainte de l’échec disparaît aussi vite que l’annonce du succès. Le management de soi-même consisterait ici à admettre que l’entrée dans une course raisonnée (c.-à-d. tenant compte de nos limites individuelles) à la performance ne menace pas notre santé, mais au contraire peut nous rendre plus heureux, voir plus détendu, car en capacité de maîtriser la situation.
Le leadership, troisième dimension de notre étude, est parfois indispensable comme chacun sait. Cependant, il y a un écart entre le rêve, qu’un dirigeant peut incarner grâce à son charisme naturel emportant les foules, et la réalité d’une place occupée par hasard et dont le chef reste malgré tous ses efforts illégitime. Pour un manager il est inenvisageable de pouvoir contrôler le ressenti individuel de tous les membres de son équipe. Le style reste ce qui nous échappe de notre interaction avec autrui. De plus la dynamique des groupes nous apprend que la place de leader est en soit un lieu de remplacement, dénué de sens a priori jusqu’à ce que quelqu’un ou une équipe lui donne du sens. Accepter de jouer le jeu naturellement est parfois bien difficile, pourtant c’est le meilleur chemin pour un manager vers la prise en main sincère de son équipe.
Une quatrième dimension de la dynamique des équipes est la rumeur. En raison d’un phénomène sociologique connu nommé « erreur d’attribution », la manière dont nous percevons nos collaborateurs en situation de difficultés est le plus souvent biaisée. Il est prouvé que le même individu placé dans un autre contexte n’obtiendra pas la même évaluation. Un manager, une équipe peut même affirmer son identité sur la base d’une erreur. Recevoir l’expression d’un point de vue qui vous semble faux sans l’accepter est certainement désagréable mais reste le seul moyen de rétablir la vérité par le dialogue de proximité.
Certainement une des plus connues, la dimension émotionnelle est aussi celle qui se cherche encore le plus car elle touche à l’intime du sujet. Aucune expérience n’est tout à fait prévisible. La vérité issue d’une expérience vient toujours en second, après coup, raison pour laquelle l’expérience « ici et maintenant» est décrite comme ante-prédictible. Les dernières recherches montrent que les émotions sont directement attachées à nos qualités rationnelles, on parle aujourd’hui d’«émorationalité». Au fond il suffit d’un peu d’observation pour remarquer que nos émotions se construisent au fil du temps. Nous cherchons souvent à les contrôler soit en acceptant de les vivre radicalement avec leur dimension non rationnelle, soit au contraire en tentant de les fuir. Or nos émotions sont un mélange inextricable d’expériences et de culture qui nous encourage à accepter nos qualités rationnelles de raisonnement et de construction logique, pour mieux les intégrer dans le quotidien relationnel du manager.
Enfin, la question qui se cache dernière toute les autres est de savoir à partir de quand la demande de performance est un acte de coercition. Cela soulève la question de la justice. Nous restons très attachés à nos valeurs et nous sommes fiers de nos convictions. Mais nous ne pouvons pas répondre de nous-mêmes à toutes les questions qui gouvernent l’humanité. Cela nous invite à l’humilité dans l’évaluation des échecs ou des succès. Nous devons accepter que nos valeurs et nos convictions soient partiellement faillibles. Notre besoin de justice réclame de l’humilité ne serait-ce que pour pouvoir rendre des décisions équitables.
En conclusion, si le management de proximité est confronté à des « impossibles » structuraux dans la dynamique de groupes ou dans la psychologie de l’individu , il n’en est pas moins vrai que l’entreprise moderne intègre sans distinction toutes les grandes valeurs de la vie telle que le courage, l’intégrité, le dépassement, les valeurs morales, la compassion et bien d’autres. Nous n’aimons retenir que les victoires, la littérature moderne en management est remplie d’exemple de succès. Cependant, une analyse récente des théories de l’adaptation montre que les espèces qui ont survécu sur le long terme n’étaient généralement pas totalement adaptées à leur environnement, et donc pouvaient faire face à un changement majeur tandis que les espèces parfaitement adaptées ont entièrement disparu. Ainsi le succès reste la création d’un individu, d’une équipe ou d’une entreprise à un moment donné…
Auteur : Denis Fompeyrine, Senior Manager, RH-Management