L’établissement d’un système de rémunération des dirigeants doit se comprendre au-delà du contexte interne des entreprises.
Ces pratiques sont perméables aux évolutions du contexte économique et social.
Cet article vise à donner des éléments de contexte socio-économique afin de mieux mettre en perspective l’évolution des pratiques des entreprises du CAC 40 en matière de rémunération des dirigeants.
La rémunération comme réceptacle des évolutions économique et sociétale
Pour les nations occidentales, la période qui a suivi les Trente glorieuses a vu un recul de la place de l’état régulateur au profit du marché et du libre échange. Les Etats Unis et la Grande Bretagne furent tout au long des années 80 les principales nations à l’œuvre de ce phénomène, sous l’impulsion des Administrations Reagan et Thatcher. Ces positions libérales se sont progressivement étendues à l’ensemble du monde occidental.
En France, le projet mitterrandien d’un marché sous contrôle étatique n’a fait illusion que 2 ans (sous l’autorité du Premier Ministre Pierre Mauroy) avant de succomber à son tour dès 1983 à la toute puissance des marchés. La chute du Mur de Berlin, épisode marquant selon Francis Fukuyama[1] la fin de l’Histoire, sifflait la fin du match et le triomphe du capitalisme. De la guerre froide émergeait alors un modèle politique et économique unique et universel. La bataille de l’Histoire était gagnée… Une décennie plus tard, le 11 Septembre 2001 mit brutalement fin à cette illusoire parenthèse historique. L’Histoire reprenait alors sa marche en avant.
La profonde crise économique actuelle agit comme une seconde lame qui remet en cause les fondements même du modèle capitaliste, sa logique court-termiste, ses valeurs matérialistes ainsi que l’aggravation des inégalités qui en résulte.
Les effets de ce double contre-choc historique sont incalculables et nul ne peut prédire les évolutions politiques, économiques et sociales des années à venir. Jusqu’ici, les guerres en Irak et en Afghanistan ont été les avatars les plus visibles (et pas forcément les plus heureux) du réajustement attendu des puissances occidentales.
Sur le plan économique, les effets de la crise actuelle sont plus diffus et plus complexes à analyser. L’éclatement de la bulle financière, la crise du financement public, la montée en puissance du modèle économique chinois, la hausse brutale du chômage, la montée des inégalités, sont autant d’éléments anxiogènes pour les dirigeants comme pour les salariés.
Le débat actuel sur les efforts à fournir pour préserver la sacro-sainte note triple « A » laisse augurer d’un creusement encore plus marqué de ces inégalités sociales. Alors que les agences de notation mettent en lumière le manque de rigueur et de crédibilité budgétaire des Etats, la classe dirigeante européenne semble résolue à mettre en œuvre des politiques de rigueur visant à résorber le déficit public. Même s’il est encore trop tôt pour mesurer les effets sociétaux de cette orthodoxie budgétaire, la situation grecque n’incite guère à l’optimisme.
Avec le creusement des inégalités grandit le besoin d’équité sur le sujet. Dans ce contexte difficile, les pratiques liées à la rémunération des dirigeants doivent désormais répondre à une double exigence éthique et économique.
L’accroissement des inégalités a rendu l’opinion publique particulièrement attentive aux dérives des pratiques en matière de rémunération des grands dirigeants. Le besoin d’équité augmente et une pression sociale croissante (se traduisant conséquemment en pression politique) s’abat sur les grands patrons qui sont moralement tenus de ne pas abuser de leur position pour obtenir des compensations sans lien avec leur véritable plus value pour l’entreprise.
Face à la paupérisation des masses, de nombreuses études rendant compte du niveau de rémunération des grands patrons, provoquent un malaise de plus en plus marqué. Alors qu’une récente étude de l’INSEE[2] rapporte que les 10% des français les plus riches possèdent 50% du patrimoine du pays et que les 10% les plus pauvres n’en possèdent que 0,1%, les hauts salaires deviennent socialement inacceptables. Aussi, comme l’avance J.P. Welsh[3], il devient socialement inacceptable (et médiatiquement dangereux) pour les entreprises, que la rémunération de leurs dirigeants ne réponde à aucune rationalité économique. Selon lui, il est devenu absolument nécessaire que les grands patrons soient en mesure de légitimer leur hauts salaires. Tout autre comportement fragiliserait grandement l’équilibre social.
Par ailleurs, l’avènement d’une économie mondialisée engendre une plus forte exigence de rentabilité économique pour les entreprises françaises. Les économies émergentes ont profondément fait évoluer les règles du jeu de la concurrence. En découle donc, pour les entreprises du CAC 40, une exigence de performance dont les dirigeants sont tenus pour premiers responsables. Les grandes entreprises françaises, en position de leaders mondiaux sur de nombreux marchés, ne peuvent faire face à cette concurrence nouvelle et directe qu’avec des leaders capables à leurs têtes. La rémunération est à ce titre un levier d’action tout à fait majeur qui se pose en véritable avantage concurrentiel. Ainsi, le contexte socio-économique français actuel oblige les grandes entreprises à justifier le niveau de rémunération de leurs dirigeants autant qu’il les oblige à penser un système de rémunération capable d’en optimiser la performance globale.
Auteur : Valentin de Turckheim, Consultant, RH-Management