Le 31 mai dernier, le Cercle Humania, sous l’égidede l’Apec et de Kurt Salmon, invitait Françoise Gri, présidente-directrice général de ManpowerGroup France et Europe du Sud pour discuter de la difficulté des jeunes aujourd’hui à s’insérer sur le marché du travail et en sus la constitution d’une société à deux vitesses, celle de ceux qui réussissent et celle des laissés pour compte.
Les 80 Directeurs des Ressources Humaines présents ont pu écouter avec attention l’analyse de Françoise Gri sur cette thématique qui est d’autant plus actuelle qu’elle s’inscrit dans une période où une crise économique et sociale tourmente l’Europe. L’équipe de Kurt Salmon présente, était constituée, pour la circonstance, de Claude Bodeau et Gilbert David, Associés, Yves Synold, Directeur, Laurent Friedmann, Sénior Manager, Olivier Indovino, Manager, et Sophie Colin, Consultant.
Kurt Salmon RH-Management accompagne les entreprises sur tous les grands enjeux d’organisation et de transformation.
En guise d’introduction, Françoise Gri a fait le triste constat de la difficulté aujourd’hui, pour les jeunes, de s’insérer professionnellement. Les chiffres l’attestent, le chômage touche deux fois plus les jeunes en Europe que le reste de la population. Cela est du en partie au système actuel qui tend à protéger les « insiders », c’est-à-dire ceux qui ont entre 35 ans et 50 ans et ont un CDI, au détriment du recrutement des jeunes et de la préservation de l’emploi pour les séniors. D’autres chiffres soulignent aussi la gravité de la conjoncture actuelle: si deux-tiers des jeunes ont trouvé un emploi en 2011, seuls 40% l’ont conservé.
Après ce bilan peu réjouissant, Françoise Gri a dénoncé une autre inégalité, celle de la dualité entre les jeunes qui réussissent (diplômes et formations reconnus, grandes écoles, universités prestigieuses), et ceux qui n’ont pas de diplômes ou peu de qualifications. Françoise Gri a fustigé ce système qu’elle estime ne pas fonctionner et qui est le fruit d’une vieille tradition purement française qui tend à valoriser et encenser les personnes appartenant à une supposée élite. Pour contrer cette inégalité, Françoise Gri a évoqué l’apprentissage auquel les entreprises ont de plus en plus recours aujourd’hui et qui pourrait favoriser ceux qui sont en manque de diplômes bien que ce dispositif soit le plus souvent tourné vers ceux qui ont déjà un bon cursus scolaire.
Dans un second temps, Françoise Gri a relaté les évolutions très rapides que connaît actuellement notre société avec l’ouverture vers les marchés émergents, son besoin en main d’œuvre et son évolution technologique. Si les jeunes éprouvent aujourd’hui des difficultés pour trouver un emploi, c’est qu’ils n’ont guère été formés en phase avec les réalités de l’entreprise.
En effet, l’ouverture vers les marchés émergents nécessite une capacité de réactivité et d’adaptabilité pour assouvir les besoins changeants des nouveaux marchés. Ce qui est observé est le délaissement de la formation des jeunes en entreprise qui considère que le nouvel actif doit être tout de suite opérationnel. De même, la France, actuellement dans une position de faiblesse en matière de numérique, souffre de son retard technologique. Pour juguler cette tendance, il faudrait disposer de nombreux ingénieurs en informatique et force est de constater que l’offre est largement supérieure à la demande…
Tout laisse donc à penser que les jeunes diplômés ne sont pas en capacité de répondre à ces besoins. Ce décalage énorme entre les besoins de l’entreprise et les compétences des jeunes trouve aussi ses origines dans le manque de main d’œuvre qualifiée. A force d’encenser les études longues, la France a oublié que les métiers manuels participent aussi aux forces vives du pays. Quelles sont donc les différentes pistes à explorer pour obvier toutes ces faiblesses ?
Selon Françoise Gri, la première action à mettre en œuvre est de réviser notre système éducatif et tout d’abord apprendre à l’élève à apprendre, lui donner des méthodes de travail. Ensuite, en complément de la lecture et l’écriture, il faut aussi davantage augmenter la part du numérique au sein des établissements scolaires pour revaloriser les métiers de l’ingénierie informatique. Il faut réaffirmer l’importance des métiers manuels. Françoise Gri a rappelé à ce sujet que l’Allemagne et la Suisse fonctionnent de cette façon et que ce n’est pas un hasard si ces deux pays aujourd’hui subissent moins les effets de la crise européenne.
Enfin, renforcer la visibilité des jeunes sur les métiers offerts par l’entreprise est absolument nécessaire compte-tenu des choix d’orientation rapides que les élèves doivent formuler.
Une seconde piste de réflexion concerne le rôle à jouer par l’entreprise dans la démarche d’accessibilité à l’emploi pour les jeunes. L’entreprise doit, en effet, former les jeunes en communiquant davantage sur les métiers qu’elle propose et auditer ses protocoles de recrutement.
Un autre point crucial dans le rôle à jouer par les entreprises concerne l’apprentissage. Il faut, selon la Présidente-Directrice Générale de ManpowerGroup France et Europe du Sud, continuer de développer l’apprentissage et l’alternance et réformer un mode de financement qui représente un coût financier trop important pour les entreprises, notamment les plus petites. Des entreprises comme Manpower pourraient ainsi prendre en charge le contrat et l’apprenti, qui pourrait cumuler les expériences et ainsi augmenter ses compétences à travers des missions de 3 ans maximum au sein de plusieurs entreprises.
Françoise Gri a insisté d’ailleurs sur la nécessité de la prise de conscience pour le jeune actif que la sécurité de l’emploi ne vient pas du contrat de travail mais bien de l’ensemble des compétences qu’il acquiert à travers ses différentes expériences. Pour aider davantage les jeunes, notamment ceux au parcours peu classiques, Manpower présente trois profils qui répondent aux besoins du poste et un quatrième plus atypique. Si l’entreprise choisit ce dernier profil, elle peut s’assurer un regard neuf sur un poste, une plus grande créativité mais surtout un échange gagnant/gagnant avec le candidat qui, conscient d’être le quatrième profil, sera plus fidèle à l’entreprise.
Enfin, Françoise Gri a clos son intervention en ré-insistant sur le rôle décisif des entreprises dans l’employabilité des jeunes et sur la nécessité de flexibiliser d’avantage le travail en sortant de cette logique CDI /CDD. Des contrats non pérennes permettraient aux jeunes de s’insérer plus facilement sur le marché de l’emploi et seraient un élément clef de la sécurisation de leur parcours. La «machine à trier» pour l’emploi des jeunes pourrait donc devenir une réalité mais pour cela une refonte en profondeur de notre système éducatif, du marché à l’emploi et des mentalités est nécessaire.