Les enjeux et défis de la COP 28

Organisée par les Émirats Arabes Unis, la 28e Conférence des Parties sur les changements climatiques (COP28) se tiendra à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre 2023. La COP28 a pour objectif d’établir le premier bilan mondial des engagements pris par les États lors de la signature de l’Accord de Paris en 2015. Il s’agit notamment de tirer les enseignements des résultats atteints pour fixer un nouveau cap dans l’action climatique des pays et rendre possible la limitation de la hausse de température à +1,5 °C, par rapport aux niveaux préindustriels[1].

Pour rappel, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) publie en 2018 un rapport alarmant sur l’état du climat dans le monde. Ce rapport a été commandé en décembre 2016 par la Conférence de Paris de 2015[2]. Il a été élaboré dans le but de « fournir au gouvernement un guide scientifique faisant autorité » pour faire face au changement climatique. Selon les derniers rapports du GIEC, limiter le changement climatique à +1,5°C équivaut à conserver une planète qui peut accueillir la vie[3]. En effet, l’infographie ci-dessous revient sur la différence entre une planète à +1,5°C et une planète à +2°C.


Les chances de limiter la hausse des températures à +1,5° ou à +2°C semblent toutefois s’éloigner. En effet, le réchauffement prévu en prenant en compte la valeur médiane des engagements pris à la COP21 par les pays conduit à une hausse +3,2°C. Si aucun effort n’est fait pour ralentir le rythme actuel des émissions, la hausse des températures atteindra au moins +4,5°C[1]. Un réchauffement atteignant les 4,5°C conduit à ce que près de 50% des espèces qui peuplent actuellement les écorégions prioritaires soient menacées d’extinction au niveau local. Alors que l’été 2023 a été identifié comme étant l’été le plus chaud jamais mesuré dans le monde selon l’observatoire européen Copernicus[2], le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres a annoncé « l’effondrement climatique a commencé »[3]. Ainsi, les attentes pour le COP28 sont considérables.

Une COP28 démarrant dans un contexte électrique

Mais alors que nous battons des records climatiques, la COP28 est sous le feu des critiques. La société civile et les experts en signalent régulièrement les écueils, des entrepreneurs français et des associations font le choix de la boycotter[1], et les esclandres contre la présidence se multiplient.

Car, avant toute chose, l’organisation de la COP 28 par les Emirats arabes unis (EAU) fait réagir. Les Emirats arabes unis sont le 7e plus grand producteur de pétrole par habitant du monde, le 5e plus gros émetteur de GES[2], avec une empreinte carbone par habitant dépassant les 20 tonnes d’équivalent CO2 par an[3] (contre 9,9 tonnes pour un Français[4]). Au-delà de sa parenté directe avec les énergies fossiles, la stratégie de transition des EAU est également décriée. Favorisant une approche par la compensation plutôt que par l’atténuation, le pays était en août dernier sur le point de signer un contrat de 30 ans avec le Libéria qui concédait aux EAU les droits de 10% de leur superficie territoriale pour commercialiser des crédits carbone, et cela sans consentement des parties locales, en ne garantissant que de maigres contreparties, l’impact sur le climat se révélant de surcroît marginal[5]. Scandale également, quand quelques semaines avant la COP, The Guardian révèle que les torchères d’Adnoc (plus grande compagnie pétrolière et gazière émiratie) brûlant le gaz non désiré, émettait à elles seules l’équivalent de 90 centrales à charbon[6].

La crédibilité du président de la conférence climat de l’ONU, le sultan Ahmed Al-Jaber n’est pas en reste, sa nomination ayant suscité l’incrédulité des experts. Le sultan est le PDG de l’Abu Dhabi National Oil Company (Adnoc), 12e entreprise mondiale du secteur en matière de production[7]. L’entreprise nationale, loin de vouloir changer de modèle économique, espère même augmenter sa production de pétrole à 5 millions de barils par jour d’ici 2050[8]. Pourtant, le président de la COP28 est également considéré comme un réformateur aux Emirats arabes unis. Dans un pays addict aux énergies fossiles, il a fondé dès 2006 sa société d’énergies renouvelables Masdar, aujourd’hui parmi les plus importantes du Moyen-Orient, et a reconnu en juin 2023 que « la réduction des énergies fossiles était inévitable »[9]. Outre le positionnement des EAU, la place accordée aux lobbyistes des énergies fossiles a également fait l’objet de vives critiques. Alors que leur nombre ne cesse de croître, la COP27 en avait accueilli 636, soit une hausse de 25% en comparaison à la COP26[10], les négociations préliminaires tenues les 30 et 31 octobre laissent également prévoir un dévoiement de l’ambition de sortie des énergies fossiles. La High Ambition Coalition, composée de 16 pays dont la France, a appelé à une sortie progressive des énergies fossiles, sans annoncer de date[11]. Les Etats-Unis et les Emirats arabes unis proposent une « réduction progressive de l’énergie produite grâce au charbon » et se fixent une multiplication par trois de la production des énergies renouvelables (mais quid du gaz et du pétrole ?), appel auquel s’est également joint la Commission européenne. Et d’autres, à l’instar de l’Arabie Saoudite et de la Russie, s’opposent catégoriquement à toute fin des énergies fossiles[12].


Les sujets majeurs qui structurent les débats

A l’aune de l’ouverture de la COP28, un engagement semble néanmoins clairement consensuel : la multiplication par trois des énergies renouvelables, adoptée par plus de 60 pays (Chine, Etats-Unis, Canada, Afrique du Sud, Japon, Vietnam…)[1]. Mais d’autres sujets, faisant l’objet d’une opposition plus franche, devront également être abordés.

  • À commencer par la sortie des énergies fossiles, pour laquelle déjà la COP27 n’avait trouvé aucun accord alors même que les combustibles fossiles représentent 80% de la demande d’énergie primaire dans le monde et sont la source d’environ deux tiers des émissions mondiales de CO2[2].
  • S’y ajoute également le sujet houleux du financement de la transition écologique des pays en développement. Le fonds « pertes et dommages », créé à l’occasion de la COP27, grippe les discussions ; les pays vulnérables attendent sa concrétisation, et les pays développés réclament aux pays producteurs d’hydrocarbures et aux pays émergeants, comme la Chine, d’endosser leur responsabilité climatique et d’y contribuer.[3]
Historical CO2 emissions, contribution to warming, current GHG emissions, and current population for different countries and regions. Figure 2.3 from the 2023 UNEP Emissions Gap Report. Issu d’un article de Carbon Brief
  • Et enfin, la place de la compensation carbone dans la transition sera très probablement un sujet pour la COP28. La compensation carbone, qui permet aux entreprises de financer des projets d’absorption de CO2e afin de « compenser » les émissions rejetées dans l’atmosphère par ses activités, est vivement contestée. En effet, alors que les émissions de CO2e doivent être analysées par une approche globale, si ce n’est mondiale, afin de réduire drastiquement leur quantité présente dans l’atmosphère, les entreprises justifient leurs émissions par la compensation. Toutefois, il est important de comprendre que l’atmosphère a une capacité d’accueil des émissions de CO2 maximale, à partir de laquelle le réchauffement climatique rendra la Terre invivable pour de nombreux êtres vivants. Penser compensation omet d’intégrer les émissions déjà présentes dans l’atmosphère et éloigne les stratégies de décarbonation des entreprises. Ainsi, la terminologie de compensation carbone devient « contribution climatique » afin de penser la contribution climatique dans sa globalité, dans un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Les entreprises : des actrices à part entière des solutions pour la transition

La COP28 est la première COP à être dirigée par un chef d’entreprise, le sultan Ahmed Al-Jaber, marquant une rupture du rôle diplomatique jusqu’alors peu incarné par les entreprises. Au-delà des apparences, la présidence souhaite intégrer les entreprises aux négociations, pour sortir d’une responsabilité uniquement gouvernementale et s’engager vers une responsabilité partagée, reconnaissant l’effort indispensable que joue le secteur privé dans la transition. Le sultan soutient dans les colonnes du Guardian que « les décideurs du secteur financier seront avec nous… les personnalités du secteur technologique seront avec nous… les dirigeants de tous les secteurs industriels importants de l’économie mondiale seront avec nous »[1].

Cet appel d’air pour le secteur privé, s’inscrit déjà dans une tendance qui accorde toujours plus de place aux entreprises. Durant la COP26, sur les 30 000 participants, 7 000 étaient issues du secteur privé, parmi ces derniers, nombre d’entre eux venaient de grandes multinationales[2]. Les firmes revendiquent désormais une double approche : certes participer au travail de régulation, mais surtout, s’affirmer en tant qu’acteurs de la transition écologique, en prenant toute leur part dans le défi à venir.

En définitif, la COP28 démarre donc dans de troubles circonstances. Elle se situe à l’épicentre des critiques, et a lieu dans un pays incarnant l’antithèse des principes de sobriété et de transition, alors même que les voyants de la planète sont au rouge. Pourtant, elle n’en charrie pas moins son lot d’espoirs, ses ambitions réformatrices, et ses convictions scientifiques. Malgré ses travers et ses détracteurs, la COP28 demeure le cœur palpitant d’une coopération internationale, où des avancées concrètes peuvent et doivent être obtenues.

Marine REINHARDT, Consultante

Nastassia LAGAUDE, Analyste


[1] https://www.20minutes.fr/planete/rechauffement-climatique/4060028-20231030-climat-cop28-ouvre-secteur-prive-apporter-milliards-dollars-manquent

[2] https://www.lexpress.fr/environnement/cop28-la-conference-qui-veut-reconcilier-entreprises-et-climat-QFGQRWUAKJCJHDBUHSDEKXIKVM/


[1] https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/11/21/cop28-tripler-les-capacites-d-energies-renouvelables-d-ici-a-2030-un-objectif-atteignable_6201339_3244.html

[2] https://www.un.org/fr/chronicle/article/le-role-des-combustibles-fossiles-dans-un-systeme-energetique#:~:text=Les%20combustibles%20fossiles%20repr%C3%A9sentent%20actuellement,%C3%A9missions%20mondiales%20de%20CO2.

[3] https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/11/02/les-sommes-necessaires-pour-s-adapter-au-rechauffement-climatique-sont-dix-a-dix-huit-fois-plus-importantes-que-les-flux-financiers-publics-actuels-selon-l-onu_6197850_3244.html

[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/09/30/l-appel-au-boycott-de-la-cop28-de-180-responsables-d-associations-et-d-entreprises-organiser-une-conference-sur-le-climat-a-dubai-est-absurde-et-dangereux_6191709_3232.html

[2] https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/09/30/l-appel-au-boycott-de-la-cop28-de-180-responsables-d-associations-et-d-entreprises-organiser-une-conference-sur-le-climat-a-dubai-est-absurde-et-dangereux_6191709_3232.html

[3] https://donnees.banquemondiale.org/indicator/EN.ATM.CO2E.PC?locations=AE

[4] https://www.carbone4.com/analyse-myco2-empreinte-carbone-moyenne-2021

[5] https://www.novethic.fr/actualite/economie/isr-rse/ira-ira-pas-avant-la-cop28-les-entreprises-francaises-divisees-sur-leur-venue-a-dubai-151882.html

[6] https://www.ouest-france.fr/environnement/cop21/cop28-aux-emirats-arabes-unis-les-gaz-des-champs-petroliers-sont-rejetes-dans-lair-en-permanence-f4ead7f2-8567-11ee-9632-b62f00689e79

[7] https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/emirats-le-pdg-de-la-compagnie-petroliere-nationale-nomme-president-de-la-cop28-1896326

[8] https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/01/12/climat-sultan-al-jaber-le-pdg-d-une-compagnie-petroliere-emirati-designe-comme-president-de-la-cop28-a-dubai_6157542_3244.html

[9] https://www.lefigaro.fr/flash-eco/energies-fossiles-le-president-emirati-de-la-cop28-reconnait-qu-une-reduction-est-inevitable-20230608

[10] https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/13/pour-les-ong-pas-question-de-ceder-la-place-au-lobby-des-energies-fossiles-a-la-cop28_6199894_3232.html

[11] https://www.highambitioncoalition.org/statements/cochair-summary-april-2021-9n7c5-z7kxl-733k4-sjma4-6rx7a-72mzf

[12] https://www.reuters.com/sustainability/cop/eu-us-cop28-hosts-rally-support-global-deal-triple-renewable-energy-documents-2023-11-01/


[1] https://www.wwf.fr/nature-climat

[2] https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/09/06/l-ete-2023-a-ete-le-plus-chaud-jamais-mesure-dans-le-monde-selon-l-observatoire-europeen-copernicus-l-effondrement-climatique-a-commence-affirme-le-secretaire-general-des-nations-unies_6188057_3244.html

[3] https://news.un.org/fr/story/2023/09/1138262

[1] https://www.ecologie.gouv.fr/cop28-presentation

[2] Réchauffement planétaire de 1,5°C, Résumé à l’intention des décideurs, GIEC, 2018. Disponible ici : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/09/SR15_Summary_Volume_french.pdf

[3] https://www.francebleu.fr/infos/environnement/infographie-cop-26-pourquoi-faut-il-limiter-le-rechauffement-a-1-5-degres-plutot-qu-a-2-degres-1635167355

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