De la compensation carbone à la contribution climatique

La compensation carbone : solution pour atteindre la neutralité carbone ?

Alors que de nombreuses organisations prennent des engagements de réduction de leur empreinte carbone, la notion de compensation carbone fait encore débat. La compensation carbone est un mécanisme par lequel une organisation peut compenser ses propres émissions de CO2eq en soutenant des projets de réduction d’émissions qui absorbent ou évitent le même montant d’émissions à un autre endroit de la planète. Cette action est réalisée par l’achat de crédits carbone : 1 crédit carbone correspond à 1 tonne de CO2 absorbée ou évitée par un projet.[1] Toutefois, les crédits carbone ne sont pas déductibles des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ni ne viennent effacer ou diminuer une empreinte carbone. Ce dispositif suppose offrir la « neutralité carbone » à des entreprises mais cela est loin d’être une réalité.

En effet, pour qu’un projet de compensation carbone soit efficace, il doit :

  • Être « additionnel », c’est-à-dire qu’il n’aurait pas pu voir le jour sans le financement de l’entreprise ;
  • Pouvoir mesurer la quantité de CO2 « évitée » ;
  • Réaliser la vérification de ces émissions évitées ou capturées ;
  • Garantir l’unicité des crédits carbones qu’il délivre (un crédit = 1 tonne de CO2 évitée)[2].

Toutefois, la compensation carbone n’a pas totalement fait preuve de son efficacité, ni de sa capacité à réduire les émissions de gaz à effet de serre de manière nette et durable. En effet, la compensation carbone, même si celle-ci est réalisée dans les meilleures conditions, n’incite pas les entreprises ou états à limiter les émissions liées à leurs activités (au contraire).

Fraude à la compensation carbone : une remise en question du modèle préalablement proposé

Ainsi, pour compenser leurs émissions de CO2, de nombreuses organisations achètent des crédits carbone. Certaines entreprises avaient ainsi acheté des crédits-carbone censés financer la protection de la forêt à Portel, dans l’Etat du Para (état du nord du Brésil, dans l’est de l’Amazonie). Parmi ces entreprises, Air France annonçait dans un communiqué de presse compenser « 100 % de ses émissions de carbone des vols domestiques », en achetant des crédits-carbone à six projets, dont celui de Portel-Para. Ce projet devait permettre « d’éviter » (ou plutôt d’absorber) l’émission de l’équivalent de 22 millions de tonnes de CO2.

La réalité fut totalement différente. En effet, les émissions des entreprises n’ont ni été compensées ni absorbées par le projet en question. Nilson Corrêa da Silva, 29 ans, secrétaire général du Syndicat des travailleurs ruraux de Portel, qui représente près de 5 000 personnes révèlent « Ceux qui achètent ces crédits pensent contribuer à la lutte contre le changement climatique. Mais ce n’est pas le cas : dans la pratique, ce projet n’existe pas. ».[3]

En septembre 2020, déjà, une étude publiée dans la revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences avait remis en question l’effet sur la déforestation de douze projets REDD+ (dont le projet Portel-Para), en Amazonie brésilienne, entre 2008 et 2017. En effet, un auteur de cette étude souligne que « En comparant le taux de déforestation actuel à celui qui aurait eu lieu dans les mêmes zones en l’absence des programmes de compensation de carbone (…), nous avons trouvé qu’ils n’ont que très peu d’impact ». Les révélations ne s’arrêtent pas là, et la légalité du projet à Portel se trouve aussi questionnée. En effet, en juillet 2020, le ministère public de Para a engagé quatre procédures judiciaires contre huit entreprises qui gèrent les initiatives à Portel, pour « accaparement de terres publiques ».

Penser la contribution climatique dans sa globalité, dans un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre

Outre les enjeux de fraude aux projets de compensation carbone, il est primordial de signaler que la neutralité carbone ne peut se définir que comme l’équilibre global entre les émissions de GES émises dans l’atmosphère et les émissions séquestrées par les puits de carbone existants (forêts, océans, etc.). Le concept de neutralité carbone appliqué à une entreprise n’a donc pas de base scientifique. En outre, les projets soutenus sur le marché volontaire du carbone vont au-delà de l’absorption ou de l’évitement d’émissions de CO2e et ont d’autres impacts environnementaux et sociaux. Il est ainsi nécessaire d’envisager le carbone dans son système global en prenant en compte la capacité d’absorption limitée de la Planète. Ainsi, afin de se prémunir de ces dérives, les entreprises ne pourront plus parler de « compensation carbone » mais de « contribution climatique ».

La notion de contribution climatique permet ainsi de dissocier deux mécanismes :

  • La réduction des émissions de CO2e liées aux activités d’une entreprise(réduction des émissions) ;
  • La contribution d’une entreprise à l’atteinte de la neutralité carbone au niveau mondial (contribution climatique).[4]

Ainsi, la notion de contribution climatique permet de dissocier les actions prises par une entreprise pour limiter ses propres émissions de CO2, des projets qu’elles mènent en parallèle pour favoriser la neutralité carbone dans le monde (et non « compenser » des émissions rejetées dans l’atmosphère).

Marine REINHARDT
Consultante

 

[1] https://climateseed.com/fr/carbon-offsetting-guide#:~:text=Le%20concept%20de%20compensation%20carbone,devoir%20les%20r%C3%A9duire%20au%20pr%C3%A9alable

[2] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/03/06/le-principe-de-compensation-carbone-est-il-efficace_5432105_4355770.html

[3] https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/11/20/au-bresil-trois-projets-de-compensation-de-carbone-accuses-de-fraude_6201224_3234.html

[4] https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/09/pour-une-strategie-de-contributions-climatiques-de-qualite_6199115_3232.html

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