Claude Bodeau et Philippe Got représentaient Wavestone au colloque organisé par l’armée de l’air le 1er décembre 2016 en partenariat avec l’association nationale des auditeurs jeunes de l’Institut des hautes études de la Défense nationale, sur le thème du risque.
Un panel très riche rassemblait des représentants institutionnels de l’armée de l’air et du ministère de l’Intérieur (le préfet commandant les CRS), de la société civile (notamment un médecin urgentiste des pompiers de Paris, des sociologues, des professeurs des universités, le directeur général adjoint de l’IFOP France, une productrice-réalisatrice de film, un historien, et un réserviste de 20 ans impliqué dans la gestion des conséquences de l’attentat du 14 juillet à Nice…), ainsi que des représentants du monde privé (le vice-président en charge de l’audit de Total, le dirigeant de la société Planet Guarantee, et fondateur de la revue Risques, le président de Boléro). Participaient également le président de la commission de défense de l’assemblée nationale du Mali et un représentant des forces armées canadiennes.
Des trois tables rondes (Qu’est-ce que le risque ? Jusqu’où peut-on gérer le risque ? Comment vivre avec le risque : résilience ou résignation ?), ont émergé quelques idées force dont certaines peuvent avoir une certaine résonance dans le monde de l’entreprise :
– Le risque est inhérent avec la vie : vouloir vivre sans prendre de risque, c’est déjà mourir. C’est vrai au plan individuel : que serait la vie sans le sel de l’incertitude et la fierté d’avoir réussi en « prenant des risques » ? C’est aussi vrai pour les collectivités, et notamment les entreprises. L’apparition assez récente de Risk Management Officers dans les grosses entreprises, montre bien que la prise de risque, à condition d’être maîtrisée, est une source majeure de performance : conquêtes de nouveaux marchés, changement de métiers, rupture technologique, innovation, autant de décisions stratégiques comportant des risques (financiers, sociaux, technologiques….) qu’il s’agit d’évaluer, d’analyser dans leurs conséquences avant de décider.
– La notion de « risque acceptable » n’a pas grand sens. Acceptable pour qui ? Celui qui prend la décision « d’y aller » ou celui qui peut en subir les conséquences ? C’est de « risque accepté » qu’il convient de parler, ce qui suppose que le décideur a pleinement analysé les conséquences des options possibles, et les a partagées avec ses collaborateurs. Dans une entreprise en transformation par exemple, cela signifie un partage de la vision avec les collaborateurs, la détermination du sens pour convaincre que la prise de risque est mesurée et que la situation de l’entreprise sera meilleure in fine ; et de la part des managers, un « engagement » pour embarquer les équipes par une mise en perspective lucide des gains/pertes issues de la transformation, collectivement et individuellement. La prise de risque, quand elle est expliquée et valorisée, peut alors devenir un levier de motivation pour conduire le changement.
– Mais qu’est-ce que le risque ? Le représentant de Total nous en fournit une bonne définition : Le risque est l’association d’une probabilité qu’un événement survienne et des conséquences de cet événement s’il survient. Agir pour limiter les conséquences relève du domaine de l’assurance, et c’est d’une certaine manière facile. Les professionnels de l’assurance et de la prévoyance font cela tous les jours. Agir pour diminuer au maximum la probabilité que l’événement se passe est beaucoup plus difficile, car cela nécessite d’agir sur les comportements. Total a ainsi réussi à diminuer les accidents de tous types (environnementaux, accidents du travail…) par 15 en 30 ans grâce à une politique visant à rechercher, encourager et valoriser l’exemplarité professionnelle de ses collaborateurs.
– Il est essentiel que les managers dans les entreprises prennent des risques. Prendre des risques, c’est en effet aller de l’avant, proposer des innovations, initier une dynamique positive de changement….Mais, au même titre qu’un manager agit dans un cadre de délégations clairement définies avec sa hiérarchie, il s’en tiendra à prendre les risques « de son niveau ». La notion de « risque délégué » est essentielle, car qu’est-ce d’autre finalement sinon la marge de manœuvre, la liberté d’action dont tout manager doit disposer pour faire grandir ses équipes ? Disposer dans son entreprise de managers désinhibés, capables de prendre des initiatives, donc des risques, certes calculés (ce qui nécessite que la vision globale et le sens soient partagés par tous), est un atout important. Cette notion de risque délégué sous-entend de fait la possibilité de l’erreur. Accepter l’erreur chez ses managers est un acte positif de management sous réserve d’y inclure feed-back et RETEX.
– L’acceptation du risque dans une équipe est indissociable du niveau de confiance que s’accordent les membres de l’équipe les uns envers les autres. C’est évidemment vrai pour les armées et plus globalement toutes les structures dont la mission nécessite une forte cohésion (sapeurs-pompiers, forces de sécurité, équipes mobiles du SAMU, etc…). La formation initiale et l’entraînement, au plus près des conditions réelles, sont les meilleurs garants de la création de la confiance et de la cohésion d’équipe qui permettent ensuite d’affronter les risques des interventions réelles. Dans le monde de l’entreprise, la cohésion n’a évidemment pas cette force. Mais c’est souvent l’adhésion collective à la vision, aux objectifs stratégiques, et à la définition des moyens pour les atteindre qui fait la différence entre une entreprise qui réussit et celle qui échoue. On en revient toujours au même paradigme : rien ne peut se faire (transformation profonde ou simple adaptation) sans une action forte sur les esprits et les cœurs qui composent la ressource humaine de l’entreprise.
« Embarquer » ses troupes est plus que jamais une nécessité.
Auteur : Philippe Got, Senior Business Advisor