Vers une nouvelle donne du dialogue social en entreprise : quelles sont les potentialités pour le DRH et les entreprises

Primauté à la négociation d’entreprise, fusion des IRP, mise en place d’un référentiel d’indemnités prud’homales, extension des possibilités de conclure un contrat de chantier, assouplissement des règles de recours au CDD et à l’intérim, … La réforme du code du travail qu’entend mener le nouveau gouvernement promet de « rénover en profondeur [notre] modèle économique et social » (1). Manel Chaoui Sénior Consultante et Claude Bodeau Partner en charge de la practice People & change chez Wavestone analysent ces évolutions sous l’angle du potentiel pour les DRH.

Les mesures envisagées par Muriel Pénicaud, ministre du travail fraichement nommée, semblent toutes avoir un point en commun : elles s’appuient sur le postulat que le code du travail ne répond aujourd’hui ni aux besoins des employeurs ni aux attentes des salariés. Elles visent alors à apporter une réponse aux problématiques actuelles des entreprises et à anticiper l’avenir afin de « faire converger la performance sociale et la performance économique ».

Cette réforme qui vise à rénover un socle juridique bien établi, quoique « bousculé » ces dernières années par plusieurs lois (loi de sécurisation de l’emploi en 2013, loi pour la croissance et l’activité en 2015 dite loi Macron, loi sur le dialogue social dite loi Rebsamen la même année, puis la loi Travail en 2016 dite loi El Khomri), promet d’insuffler un nouvel air dans les relations sociales en donnant plus de liberté et d’autonomie au DRH dans la gestion du dialogue social au sein de l’entreprise.

Mais cette nouvelle réforme du code du travail est-elle forcément une bonne nouvelle pour les DRH ? Rime-t-elle réellement avec simplification des relations sociales ? Quels sont ses réels enjeux pour les professionnels des ressources humaines et quels sont les points d’attention à prendre en compte ?

Primauté de l’accord d’entreprise

Conformément aux promesses d’Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle, l’avant-projet de loi de réforme du code du travail entend « reconnaître et attribuer une place centrale à la négociation collective d’entreprise dans le champ des relations individuelles et collectives de travail applicables aux salariés de droit privé  » (2) et ceci en réorganisant les domaines de négociation entre la branche et l’entreprise. Le gouvernement devrait ainsi définir :

  • Les domaines dans lesquels l’accord d’entreprise ne peut pas déroger à l’accord de branche. Actuellement les domaines concernés sont : les minima salariaux, les classifications, la prévoyance, l’égalité professionnelle, la mutualisation des fonds de la formation et la pénibilité ;
  • Les domaines dans lesquels l’accord de branche pourrait s’opposer à toute dérogation par convention ou accord d’entreprise et en reconnaissant dans les autres matières la primauté de la négociation d’entreprise (comme pour les indemnités de licenciement, la période d’essai ou le préavis par exemple).

L’esprit de cette mesure est de positionner l’entreprise au cœur du dialogue social afin de traiter par le biais de la négociation des problématiques actuelles au sein des entreprises et d’y répondre par des mesures adaptées à la réalité et aux spécificités locales. Cette approche représente une réelle opportunité pour les directeurs des ressources humaines puisqu’elle leur offre une marge de manœuvre importante pour soutenir les projets de l’entreprise.

Par le passé les DRH ont déjà réussi à signer ce type d’accords avec les organisations syndicales sur des sujets sensibles tels que le temps de travail ou la rémunération par le biais d’accords de compétitivités tel que l’accord de performance PSA signé en juillet 2016 ou encore l’accord Renault conclu fin 2016, négocié pour prendre la suite de l’accord de compétitivité de 2013.

Les organisations syndicales ont montré que dans un contexte de profondes mutations de l’entreprise, elles étaient prêtes à concéder des mesures de flexibilité et de baisse du coût du travail en contrepartie d’un engagement sur des perspectives d’activité, d’investissements ou encore de maintien dans l’emploi. Ceci démontre qu’une certaine maturité du dialogue social s’est installée au fil des années au sein des grandes entreprises facilitant l’appropriation de ce type de mesures.

Par cette nouvelle articulation de la hiérarchie des normes, le DRH passe d’un mode défensif, dans lequel il devait se conformer à des accords de branche, professionnels ou interprofessionnels, vers un mode offensif dans lequel il pourra mener des négociations avec les élus locaux sur des sujets propres à l’entreprise.

Pour Jean Christophe Procot, expert rémunération au sein du cabinet Wavestone, l’impact de cette mesure est à relativiser selon la taille de l’entreprise, son secteur d’activité et le domaine concerné par l’accord. Prenons l’exemple des minimaux salariaux, fixés aujourd’hui par des accords de branches ou par des accords interprofessionnels, l’impact d’une négociation au niveau de l’entreprise serait différente selon le type d’entreprise concernées :

Pour les métiers générant une faible marge, comme des sociétés de service aux entreprises, les minimaux salariaux appliqués par les entreprises sont alignés sur les minimaux de la branche, réputés être bas, et devraient le rester même si l’opportunité de négocier un accord d’entreprise se présentait ;
Pour d’autres entreprises, le changement envisagé ne devrait pas engendrer de modifications dans les pratiques puisque celles-ci se situent déjà bien au-dessus de ce que garantit l’accord de branche.

Pour certains domaines comme la prévoyance, donner la primauté à l’accord d’entreprise fait tout son sens puisqu’il permettrait à l’entreprise d’adapter son régime de prévoyance en fonction de la cartographie de sa population locale. Autre exemple pour la mutuelle, la mesure envisagée par la réforme permettrait de corriger des uniformisations réalisées aujourd’hui au niveau des branches qui n’ont pas de sens à exister.

Les bénéfices d’une telle mesure pour les DRH semblent évidents : plus de flexibilité, plus de souplesse et plus d’autonomie. Le dialogue social se « professionnaliserait » puisqu’il se ferait avec des élus locaux au fait des problématiques terrains et des attentes des salariés et donc plus à même de mener des négociations dans un esprit de co-construction.

Mais donner la primauté à l’accord d’entreprise sous-entend également donner plus de pouvoir aux représentants du personnel locaux. Ces derniers sont-ils prêts, formés et suffisamment outillés pour mener ce type de négociations ?

De nombreuses incertitudes entourent encore cette mesure : quels seraient les sujets concernés ? Jusqu’à quel niveau pourra-t-on négocier : l’entreprise ? L’établissement ? Quelle jurisprudence va naitre de ces mesures ? Ce qui est sûr c’est que le dialogue social se fera sur un nouveau terrain avec de nouvelles règles auxquelles le DRH devra être préparé.

Autonomie du dialogue social d’entreprise

Le gouvernement entend également « renforcer l’autonomie des partenaires sociaux dans l’organisation du dialogue social dans l’entreprise, en permettant à l’accord collectif de déterminer la périodicité et le contenu des consultations et des négociations obligatoires ».

Cette mesure s’inscrit dans la continuité de la précédente, puisqu’elle vise à replacer l’entreprise au cœur du dialogue social et à le rendre autonome. Le DRH devra conjointement avec les représentants du personnel, définir le contenu et les modalités des consultations et négociations.

Mais cette liberté de négociation donnée à l’entreprise est à double sens. Jusqu’à aujourd’hui les accords négociés au niveau de la branche s’imposaient aux entreprises (sauf accord mieux disant négocié au sein de l’entreprise) et définissaient les règles du jeu sans être remises en cause. Demain, le champ de la négociation sera ouvert, ouvrant ainsi la voie à la remise en question de ce qui était considéré jusque-là comme acquis pour les salariés mais aussi pour l’employeur. L’ensemble des éléments pourront être potentiellement questionnés. Les négociations seront consommatrices d’énergie et de temps, sans forcément aboutir.

Présomption de conformité à la loi des accords

Autre mesure proposée pour favoriser la négociation d’entreprise : « préciser les conditions dans lesquelles il appartient à celui qui conteste un accord de démontrer qu’il n’est pas conforme aux conditions légales qui le régissent, aménager les délais de contestation d’un accord collectif et permettre au juge de moduler les effets dans le temps de ses décisions ».

Cette mesure apparaissant comme un véritable levier pour les entreprises, soulève de nombreuses interrogations à la fois en termes de contrôle, de protection de l’employeur et des salariés, et de recours possible. La liberté permise par cette mesure, présente à la fois une opportunité d’entreprendre pour l’employeur mais aussi une zone de risques.

La réforme du code du travail présente un véritable enjeu pour les professionnels des ressources humaines. Le DRH en s’appropriant ses nouvelles mesures, peut jouir d’une véritable marge de manœuvre dans la mise en œuvre de ses différentes actions RH mais cela ne peut être possible que s’il réussit en parallèle à instaurer un nouvel équilibre des relations sociales au sein de l’entreprise.

Les professionnels des ressources humaines doivent préparer la mise en œuvre de ces mesures et de ce qu’elles pourraient impliquer en anticipant suffisamment et en s’outillant. Cette préparation passe notamment par une planification de la masse salariale pour faire face aux potentielles renégociations de minimum de salaire, de mutuelle et prévoyance, de temps de travail mais aussi du coût lié aux embauches et aux ruptures de contrat de travail.

Ils doivent également construire une stratégie sociale adaptée en réfléchissant en amont aux contreparties à apporter lors des négociations.

Les travaux en cours nous permettront de revenir vers vous lorsque le gouvernement aura publié les ordonnances prévues par le projet de loi , pour approfondir les points de la réforme et mesurer leurs impacts sur les pratiques des DRH et les potentialités pour les entreprises.

(1) Extrait du « programme de travail pour rénover notre modèle social » (ministère du travail juin 2017).

(2) Article 1er du projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour la rénovation sociale.

Auteurs : Manel Chaoui et Claude Bodeau

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