L’économie sociale et solidaire en Europe : une dynamique de soutien croissante des institutions

En décembre 2021, la publication par la Commission européenne de son « Plan d’action pour l’économie sociale » a démontré une solide volonté de la part de l’institution de soutenir les entités de l’économie sociale et solidaire offrant des solutions concrètes aux grands enjeux sociaux et environnementaux de notre siècle. L’Europe compte à ce jour 2,8 millions d’entités de l’économie sociale, qui emploient 13,6 millions de personnes, sont actives dans un large éventail de secteurs et revêtent diverses formes, des coopératives aux entreprises sociales. Cependant, la création d’une dynamique européenne de soutien à l’économie sociale se heurte encore à différents freins et à un manque d’harmonisation à l’échelle de l’Union. Zoom sur ces questions aux côtés de Jérémy Koffi, responsable de financements européens au sein du Groupe SOS, groupe associatif et leader européen de l’entrepreneuriat social.

Commission européenne – quelles marges de manœuvre pour soutenir l’écosystème de l’ESS ?

« L’Union Européenne dispose de deux cordes à son arc en matière de promotion de l’ESS » avance Jérémy Koffi

Elle peut agir en premier lieu sur le plan politique. En ce sens, l’année 2011 a marqué un tournant dans l’histoire de l’économie sociale européenne, avec « L’Initiative pour l’entrepreneuriat social », premier plan ambitieux porté par la Commission, dont l’objectif était d’envisager les acteurs de l’économie sociale comme un ensemble cohérent, avec une analyse de leurs profils, de leur public et de leur impact. « Il est intéressant de constater que la considération de l’ESS au niveau européen a commencé par la prise en compte de l’entrepreneuriat social pour petit à petit intégrer des acteurs plus larges, qui ne sont pas dans une logique entrepreneuriale » remarque Jérémy Koffi. Le « Plan d’action pour l’économie sociale » de 2021 démontre la volonté de la Commission européenne d’aller plus loin dans cette dynamique de soutien au secteur. Bien que non contraignant pour les Etats membres, ce Plan d’action les appelle à soutenir le renforcement de l’ESS en adoptant ou en mettant à jour leurs stratégies et législations respectives en matière d’économie sociale, en lien avec les acteurs de cet écosystème.  

Extrait de l’Initiative pour l’entrepreneuriat social de la Commission européenne

En second lieu, l’Union européenne dispose d’une capacité de soutien de l’ESS au travers de ses programmes de financement. « Les fonds européens sont tellement variés qu’ils peuvent financer la quasi-entièreté du champ de l’ESS : environnement, aide aux migrants, santé, formation, culture… » précise Jérémy Koffi. Ainsi, chaque thématique ou presque a son programme dédié. Cependant, la méconnaissance des fonds par les acteurs de l’ESS et leur lourdeur administrative constituent des freins importants dans l’obtention de ces financements. « Les dossiers de candidatures sont extrêmement lourds. Les petites structures, notamment associatives, ne disposent pas toujours des ressources humaines nécessaires pour les monter » alerte Jérémy Koffi. De plus, les calendriers de versement se révèlent inadaptés à la réalité économique de nombreuses structures associatives qui peinent à avancer les frais avant de percevoir la subvention. La lourdeur des reportings associés s’avère par ailleurs souvent décourageante.

Le « Plan d’action pour l’Economie Sociale* » de 2021 : une avancée importante mais des enjeux de taille

La Commission européenne s’est attachée, au travers de son nouveau Plan d’action, à aborder les différents freins rencontrés par les acteurs de l’Economie Sociale et Solidaire. Le Plan s’articule ainsi autour de trois axes principaux : la création de conditions propices au développement de l’économie sociale, l’ouverture d’opportunités permettant aux entités de l’ESS de démarrer et de se développer et enfin la reconnaissance de l’économie sociale, via notamment la mesure d’impact et des actions de communication régulières.

Les trois axes du Plan d’action pour l’Economie Sociale de 2021

Si le deuxième axe du Plan de 2021 vise ainsi à ouvrir des perspectives de développement pour les entités de l’ESS, via notamment l’amélioration de l’accès aux financements, la Commission n’affiche toutefois pas la volonté de créer un fonds dédié.  « A l’heure actuelle, nous nous interrogeons sur l’absence de programme de financement dédié. Un fonds spécifiquement destiné et adapté aux acteurs de l’ESS pourrait les encourager à davantage solliciter des financements européens » avance Jérémy Koffi. En revanche, le Plan d’action annonce en 2023 la création d’un portail unique sur l’économie sociale (« Social Economy Gateway »), destiné à fournir un point d’entrée clair aux parties prenantes de l’économie sociale et à dispenser des conseils spécifiques sur les possibilités de financement de l’Union européenne. « Cet outil devrait s’avérer particulièrement pertinent pour améliorer la visibilité des initiatives européennes et centraliser l’information » indique Jérémy Koffi.  

Par ailleurs, le Plan aborde un enjeu d’envergure pour l’économie sociale en Europe : la mesure d’impact. En effet, pour reconnaître l’impact positif, environnemental et/ou social/sociétal des structures de l’ESS, des méthodologies robustes de mesure d’impact sont plus que jamais nécessaires (cf https://leblogrh.net/2023/03/mesure-de-limpact-social-dans-less-vers-une-professionnalisation-et-une-structuration-croissantes/). Le troisième axe du Plan 2021 s’articule notamment autour de l’encouragement au développement de méthodologies de mesure, via le recensement des pratiques existantes et un travail avec les parties prenantes pour développer des méthodologies standard simples en 2023. Cependant, peu de détails sont donnés sur les moyens effectivement déployés pour mener à bien ce travail, ou sur une quelconque volonté de développer une méthodologie européenne unique de référence.

En synthèse, si la Commission européenne démontre depuis quelques années une volonté forte de soutenir les acteurs de l’ESS, les actions énoncées dans son dernier Plan d’action restent encore à venir, avec de nombreux engagements débutant en 2023. Renforcement du soutien accordé au développement de l’ESS en Europe, volonté ou velléité ? Il sera particulièrement intéressant, pour répondre à cette question, de suivre de près si les ambitions annoncées seront suivies d’effets et déboucheront notamment sur des règlements ou directives contraignants au sein de l’Union.

*Traduit de l’anglais « social economy » : ce terme recouvre le même périmètre que l’Economie Sociale et Solidaire (Respect des grands principes suivants : la primauté des personnes et des objectifs sociaux et/ou environnementaux sur les bénéfices, le réinvestissement de la majeure partie des bénéfices et des excédents pour mener des activités dans l’intérêt des membres / utilisateurs (« intérêt collectif ») ou de la société dans son ensemble (« intérêt général ») et la gouvernance démocratique et/ou participative.)

Pour aller plus loin :

Sources : 

photo rédactrices
Albane Demaret, Consultante
Bérénice Bourgeois, Consultante
Back to top