L’éco conception numérique : pourquoi ? quelles spécificités ? 

Nous vous parlions il y a quelques semaines de l’éco-conception. Afin de retrouver les grands principes, son intérêt et méthodes d’application en entreprise, nous vous invitons à consulter l’article « Activez le mode éco-conception». 

Les enjeux de l’éco-conception numérique 

Dans le numérique comme les autres secteurs, se lancer dans une démarche d’éco-conception est nécessaire pour répondre aux enjeux environnementaux et peut être une opportunité de se différencier de la concurrence avec un service plus qualitatif qui se valorise auprès de ses partenaires et clients. Il n’existe pas encore de contrainte réglementaire toutefois une norme ISO dédiée est en cours de construction. 

Nous allons désormais nous intéresser à ses spécificités et son application au numérique. En effet le numérique émet 3.8% des émissions mondiales de GES (Gaz à effet de serre).  C’est supérieur au secteur aérien pour le secteur d’activité ayant la plus forte croissance tendancielle, 8%/an soit un doublement en 9 ans ! Outre les émissions de GES, qui sont un incontournable de l’impact environnemental et un référentiel largement utilisé, il est nécessaire de garder en tête que les impacts indirects les plus massifs concernent la consommation de ressources (matières premières, eau et énergie) lors de la phase de fabrication des matériels. 

Afin d’inverser la tendance, il est urgent que les professionnels du secteur, privés comme publics, revoient leurs méthodes de travail pour prendre en compte l’impact environnemental du numérique dès sa conception.  L’objectif d’une démarche d’éco-conception est justement de minimiser ce dernier pour un ensemble systémique de produits ou services. On parle ici des produits et services numériques permettant le fonctionnement et l’usage des sites web, des applications mobiles, des logiciels, des API, des pilotes logiciels d’un matériel, des systèmes d’exploitation, des data centres, des infrastructures réseaux, etc.

Plus les industries sont capitalistiques plus la modification des produits et leur méthode de conception peuvent s’avérer longues et onéreuses car elle nécessite de gros investissements dans les outils productifs et/ou de revoir l’ensemble de la chaine de production avec des problématiques très matériels (matériaux, fabrication, assemblage, etc.). Les acteurs se résignent alors à réduire l’empreinte de produits existants sans pouvoir réellement les repenser de zéro en incluant l’éco-conception by design. 

La bonne nouvelle avec le numérique est que l’on parle ici d’un secteur aux produits en grande partie immatériels et ayant prouvé ses capacités : 

  • A évoluer à un rythme exceptionnel et dans lequel les investissements en R&D sont en croissance permanente, 
  • A adapter ses méthodes ou processus, opérationnaliser et industrialiser, se réinventer face aux défis poussés par une concurrence internationale forte,  
  • A adopter un modèle schumpetérien de destruction créatrice. Un nouveau produit ou service peut être complétement repensé et adopté en un temps très court. 

Il faut maintenant s’assurer que l’avenir du numérique ne se construise pas en produisant toujours plus d’appareils, avec des services toujours plus consommateurs et dont les usages s’additionnent plutôt que se substituent ! 

Une démarche globale

Ainsi pour éviter les effets rebonds négatifs ou le greenwashing, l’éco-conception doit être une démarche globale traitant le sujet dans toute sa complexité et prenant en compte : 

  1. Les différentes étapes du cycle de vie (fabrication, utilisation et fin de vie) 
  2. Les composants du service numérique (matériels, infrastructures et logiciels) 
  3. L’ensemble du parcours utilisateur, ses impacts directs et indirects 

Il est important de garder en tête que l’éco-conception doit être une démarche progressive appliquée à différents niveaux de l’entreprise. Il faut accepter d’initier le processus et s’inscrire dans le temps long mais procéder par itération permet d’opérationnaliser cette progressivité et d’avoir des bénéfices très courts termes. Les aspects de gouvernances et humains sont primordiaux mais ne seront pas abordés directement ici. Pour chaque section développée, l’objectif est de donner des pistes de réflexions par axe de travail afin d’ajouter l’impact environnemental comme une nouvelle dimension à considérer au même titre que les 3 contraintes classiques : qualité, coût et délai. 

L’analyse de cycle de vie  

Cette méthode permet d’identifier les impacts environnementaux d’un produit tout au long de son cycle de vie, de la production des matières premières à la fin de vie du produit. L’ACV est une approche systémique qui permettra d’identifier les étapes du cycle de vie ayant le plus d’impact environnemental et d’optimiser la conception du produit en conséquence. 

La mesure faite par ACV servira de base de référence. Elle permettra de projeter des scenarios et de suivre l’évolution de l’empreinte au cours du temps. Il existe désormais un large panel de solutions permettant une mesure continue de l’empreinte du numérique.  

L’ACV peut également aider les équipes à lever et remettre en question des tabous pour l’entreprise tels que faire des compromis sur la qualité ou le coût. Il est important que ces arbitrages se fassent en toute transparence, avec les précautions de communication et de pédagogie nécessaires. A minima l’organisation doit trouver le bon équilibre permettant de continuer de fournir un service de qualité et à un niveau de rentabilité suffisant tout en minimisant son impact environnemental.  

Cela dit on constate que les équipes lançant ce type d’analyse et voulant agir au travers d’une démarche d’éco-conception se permettent de repartir de zéro et font souvent émerger de nouvelles méthodes qui minimisent l’impact environnemental et, à minima, maintiennent la qualité et la rentabilité. 

Les composants du service numérique

Derrière ses applications, sites web, portails, etc. qui constituent la couche logicielle immatérielle… le numérique s’appuie également sur des composantes très matériels : les équipements pour les utilisateurs (terminaux, écrans, imprimantes, etc.) et les infrastructures (data centres et réseaux). Chaque type de composant a ses problématiques propres. 

Pour les équipements il y a deux grandes dimensions à considérer : 

  • La dimension physique concrète avec des aspects tels que la fabrication des produits, leur acheminement, leur consommation énergétique, la gestion des DEEE (Déchets d’équipements électriques et électroniques), qui pourront être traités comme cela sera fait dans une démarche d’éco-conception de produits industriels. 
  • La dimension digitale abstraite avec la consommation de service numérique une fois le service actif. Son impact va dépendre de la capacité du produit à fournir le service numérique attendu en consommant un minimum d’électricité mais également de celle des équipes à s’appuyer dessus pour répondre aux besoins utilisateurs. Fort heureusement les solutions de gestion des équipements permettent désormais de soigner le paramétrage très précisément et de manière dynamique et la capacité de mise à jour en cours de vie de l’équipement assurera son évolutivité dans le temps. Par exemple un outil moderne de gestion centralisée de parc de laptops permet d’ajuster les paramètres d’affichage pour qu’ils consomment moins d’énergie au quotidien ou installer des mises à jour en masse pour qu’ils restent compatible avec de nouveaux logiciels. Il sera toutefois nécessaire que les équipes soient correctement formées et intègrent la contrainte environnementale dans leurs activités. 

Mais alors, quel est le rôle des logiciels dans tout ça ? En quoi leur conception peut influencer le rythme de renouvellement des équipements et leur consommation ? C’est très simple : plus un service numérique est lourd, plus l’utilisateur aura besoin de renouveler son terminal pour un appareil plus puissant. C’est bien la composante immatérielle des services numériques qui cause l’obsolescence matérielle.  La démarche d’éco-conception des logiciels va participer à permettre d’assurer leur fonctionnement sur des appareils anciens et des réseaux moins performants.  

Un principe essentiel à appliquer est celui de correctement définir les besoins avec les clients ou utilisateurs et construire une solution bien ajustée, sans superflu. Environ 45% des fonctionnalités demandées ne sont jamais utilisées, et 70% ne sont pas essentielles. Même si certaines fonctionnalités peu utilisées sont utiles et nécessaires (par exemple la réinitialisation de mot de passe), cela interpelle ! Une solution bien dimensionnée, regroupant seulement les services attendus avec une UX fluide aide l’utilisateur à trouver rapidement sa réponse et aura une empreinte environnementale minimale.  

Plusieurs méthodes peuvent aider dans cette recherche de sobriété :  

  • Au niveau fonctionnel : raisonner par unité fonctionnelle, se poser systématiquement la question des 3U (le service est-il utile ? utilisable ? utilisé ?), adopter les méthodes d’excellence opérationnelle et lean IT pour plus d’efficience, etc. 
  • Au niveau technique : se fixer pour objectif de proposer une solution nécessitant un minimum de technologie et par exemple développer sous contraintes (favorise également l’accessibilité), viser l’universalité des terminaux supportés par exemple en privilégiant les solutions web, se former au Green code (choix du langage et sobriété des requêtes), utiliser un outil d’évaluation, DevOps automatisation et industrialisation des déploiements, etc. 

Ensuite il existe différents leviers d’actions : la clarté des contenus et la facilité de navigation pour s’assurer que tout utilisateur atteigne son objectif en un minimum de temps ; la sobriété des interfaces (couleurs, polices, etc.), l’allégement des contenus (photos et vidéos en particulier), éviter les lectures automatiques et animations, paramétrage des plugins et widgets, etc. pour réduire significativement le volume de données hébergées et échangées. 

Au-delà de l’empreinte environnementale, ces actions vont permettre d’améliorer d’une part le référencement web, l’accessibilité, la satisfaction client et donc le taux de conversion et les revenus ; d’autre part réduire les coûts pour la maintenance, les ressources d’infrastructure, etc. Évidemment, comme dans les autres secteurs, une organisation voulant structurer sa démarche d’éco-conception numérique ne devra pas négliger les phases amont d’audit de l’existant, définition d’objectifs et d’approche de mise en œuvre, et s’appuyer sur des outils de mesure pour se piloter. 

L’ensemble du parcours utilisateur, ses impacts directs et indirects

Il reste un élément qui complexifie la démarche d’éco-conception pour les services numériques, c’est la nécessité de ne pas se limiter à la solution numérique en tant que telle et son interface mais de bien prendre en compte l’ensemble du parcours utilisateur.  Le parcours en lui-même peut inclure à la fois des actions sur l’interface et des actions physiques, toutes deux auront des impacts directs ou indirects.   C’est pourquoi les équipes de conception considèrent l’UX (expérience utilisateur) dans sa globalité. 

1.Les impacts directs des choix de conception 

Par exemple je réserve un essaie automobile en ligne, je teste le véhicule selon les conditions établies et je note la qualité de la prestation en ligne à postériori. Bien concevoir le formulaire de réservation augmente les chances que l’utilisateur aille au bout du processus au lieu d’arriver en concession sans rendez-vous, ait les bonnes informations (documents administratifs, conditions de l’essai, etc.) et que le concessionnaire collecte les éléments nécessaires afin d’assurer la prestation et la satisfaction client. On évitera alors un déplacement inutile de l’utilisateur (et son lot d’émissions de GES !) si une de ces conditions n’est pas remplie.  

2.Les impacts indirect des choix de conception 

On fait souvent référence à l’effet papillon d’un arbitrage lors du design qui engendrera un changement de comportement des utilisateurs. Son comportement lors de son parcours sur la solution considérée, mais également les reports vers : 

  • D’autres solutions numériques : outre le fait qu’un service plus performant va finalement engendrer une consommation plus intensive, les émissions de GES liées au numérique augmentent également car les usages ont tendances à s’additionner et non se substituer. 
  • Vers des actions physiques très concrètes : un parcours en ligne mal pensé est susceptible d’engendrer une multiplication des requêtes, des sollicitations du support, des actions manuelles… mais également le recours à des déplacements physiques, plus d’impression papier, etc. 
    Si ma demande de carte grise échoue sur le site dédié, je vais contacter le support et faire intervenir un technicien. S’il ne peut pas résoudre mon problème je vais imprimer un formulaire et aller le déposer à la préfecture (en vélo idéalement !). 

Cela oblige le designer à se poser de nombreuses questions… L’utilisateur ayant un besoin X, choisit la solution que je développe :  

  • Quel sera son point d’entrée ? Quel sera son cheminement ? Quels seront ses réactions ? Comment se feront ses choix ?  
  • Son parcours total est-il fluide ou long et tortueux ? Est-ce qu’elle le satisfait avec un minimum d’actions et requêtes ? 
  • Est-ce que cela pourra lui éviter d’autres actions ? Ou au contraire en nécessiter des complémentaires, peut-être même auprès d’autres interlocuteurs ?  
  • Est-ce que ma solution lui apporte de la valeur ajoutée en comparaison des solutions déjà utilisées ? Est-ce qu’elle remplace la solution actuelle ? Ou au contraire vient s’ajouter ? 

Dans de prochains articles nous serons ravis de présenter des méthodes d’éco-conceptions particulièrement adaptées au numérique (éco-conception modulaire, éco-conception participative, design for disassembly, design intégré, etc.). Par la suite nous pourrons également élargir le discours à la conception responsable dans son ensemble et étudier la complémentarité de ses axes de travail. En effet il y a de fortes synergies possibles lors de la prise en compte de l’empreinte environnementale et l’empreinte sociale (accessibilité, équité, lutte contre l’illectronisme, inclusion des parties prenantes et transparence, etc.). 

Wavestone

Wavestone est le partenaire de vos grands projets de transformation durable. Nos équipes ont une expérience significative dans le numérique responsable, à la fois la réduction de l’empreinte du numérique (Green IT) mais également comment tirer parti du numérique pour réduire l’empreinte d’autres secteurs (IT for Green). Concevoir responsable de manière positive est dans l’ADN de Wavestone et notre socle de valeurs « The Positive Way » qui raisonne tout particulièrement dans ce contexte. 

Concevoir et réaliser responsable ne peut pas être un ensemble d’actions, d’activités ou d’éléments qu’il ne faut pas ou ne faudrait pas faire.​ Être responsable, c’est trouver, proposer les solutions qui répondent à la fois aux besoins clients et à la prise en compte des obligations liées à une activité responsable.​ Les audits ou mesures sont des outils de progrès et d’innovation pas des éléments de sanctions ou de constats figés. ​ La recherche, la curiosité, l’innovation et le bon sens sont les moteurs d’une ​démarche responsable et positive. 

The Positive Way est le socle de valeurs qui rassemble les équipes de Wavestone, par-delà les disciplines, par-delà les géographies. Un socle de 4 valeurs fondamentales qui agit comme une boussole, de plus en plus précieuse au fur et à mesure que notre cabinet s’étend. 

  • Satisfaction client 
  • Développement des collaborateurs 
  • Responsabilité & éthique 
  • Esprit d’équipe 
Julien Potocki, Senior Consultant
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