Mesurer et piloter les dépendances, impacts, risques et opportunités (DIRO) liés à la Nature dans la banque : enjeux, limites et leviers pour une finance « nature positive »

Introduction

La prise en compte des dépendances, impacts, risques et opportunités (DIRO) liés à la Nature s’impose comme un enjeu stratégique pour la finance. Sous l’impulsion de la CSRD, de la TNFD et des régulations françaises et européennes, la mesure et la gestion des DIRO deviennent incontournables pour piloter la transformation des portefeuilles. Mais comment structurer une démarche robuste et opérationnelle, alors que la complexité des interactions avec la Nature dépasse largement celle du climat ?

1. Matérialité évolutive et pragmatisme : agir sans attendre la perfection

Un message clé à mettre en avant :

La matérialité des enjeux évolue avec la montée en puissance des exigences réglementaires et sociétales, mais aussi avec la progression des connaissances et des méthodes. Ce qui n’est pas matériel aujourd’hui peut le devenir demain, à mesure que l’on affine la compréhension des chaînes de valeur et des dépendances indirectes.

Ce constat invite à un pragmatisme assumé. Le parallèle avec le carbone est éclairant : la finance n’a pas attendu d’avoir des facteurs d’émissions parfaits pour agir sur le climat. Les premiers bilans carbone étaient entachés d’incertitudes, mais l’action a été lancée, et l’amélioration des méthodes s’est faite par itérations, en pilotant la réduction de l’incertitude au fil du temps. Il en va de même pour la Nature : il faut accepter de publier des chiffres perfectibles, documenter les hypothèses et les limites, et privilégier la transparence sur les « zones grises » plutôt que de retarder l’action.

Approche itérative et croisement des référentiels

Il est essentiel de croiser au maximum les référentiels (CSRD, TNFD, SFDR, taxonomie, NEC, GBS, etc.), d’avancer avec un socle commun, puis d’étendre progressivement le périmètre et la granularité des analyses. L’approche doit être itérative, en commençant par les dépendances et impacts les plus significatifs, puis en élargissant à d’autres pressions, chaînes de valeur ou zones géographiques. Cette démarche suppose aussi de ne pas occulter l’axe des remontées locales : études de terrain, mobilisation des responsables de sites, dialogue avec les parties prenantes, pour affiner la compréhension et enrichir les modèles globaux.

2. Local vs Global : dépasser le modèle carbone, articuler les échelles

Une distinction essentielle : atténuation vs adaptation

Contrairement au suivi de l’atténuation climatique, où le CO₂ offre un référentiel universel et agrégable, la Nature et la biodiversité sont éminemment locales, hétérogènes et non substituables. Il faut préciser que cette remarque ne s’applique qu’à l’atténuation : l’adaptation au changement climatique, tout comme la gestion des enjeux nature, est elle aussi fondamentalement locale.

Les limites d’une approche « one size fits all »

Les débats du colloque DEFi et les analyses de la Banque de France insistent sur ce point : la recherche d’alignement sur des trajectoires globales (« net positive », « no net loss ») risque de masquer la complexité locale, voire de générer des effets pervers (déplacement des pressions, perte de diversité bioculturelle, inadéquation des actions avec les réalités du terrain). Les outils de mesure et de reporting doivent permettre d’identifier les impacts significatifs à l’échelle pertinente (site, chaîne de valeur, territoire), tout en offrant une capacité d’agrégation pour le pilotage stratégique.

Remontées locales et dialogue terrain

L’expérience montre l’importance de la mobilisation des responsables de sites, des études locales et du dialogue avec les parties prenantes pour affiner la compréhension des dépendances et impacts. Les indicateurs doivent être choisis en fonction de la finalité (pilotage, dialogue, reporting, allocation de capital…) et adaptés aux spécificités sectorielles et géographiques. Il est recommandé de privilégier une approche multi-indicateurs, croisant état, pressions, réponses et trajectoires, et de documenter les arbitrages et les limites de chaque outil.

3. Opérationnaliser la démarche : socle, extension et action

Structurer la gouvernance et la collecte de données

La gouvernance des données devient un enjeu central : comment organiser la collecte, la mise à jour et la fiabilité des données ? Peut-on s’appuyer sur l’existant, ou faut-il investir dans de nouveaux dispositifs ? La diversité des formats de reporting (GRI, SFDR, CSRD, TNFD…) peut être perçue comme un frein, mais aussi comme une opportunité de choisir les outils les plus adaptés à chaque contexte.

Transformer la mesure en leviers d’action

Le choix des outils et indicateurs doit être guidé par la finalité : vision globale pour le pilotage stratégique, indicateurs de pression pour l’action métier, dialogue avec les parties prenantes pour l’accompagnement des clients et sociétés investies. L’analyse des risques doit être au cœur du dialogue avec les investisseurs, tel que favorisé par la TNFD. La publication de chiffres perfectibles peut devenir un moteur d’amélioration continue et de dialogue, à condition de documenter les hypothèses et de rendre visibles les incertitudes.

Conclusion : la finance, catalyseur d’une transition « nature positive » et résiliente

Comme pour le carbone (où l’on a commencé par les scopes 1 et 2 avant d’élargir au scope 3), il est pertinent d’adopter une approche par étapes pour la Nature. Il s’agit de se concentrer sur un premier périmètre (secteurs, pressions, chaînes de valeur prioritaires) et d’être dans l’action, tout en préparant l’extension progressive du champ d’analyse. L’important est de lancer la dynamique, d’identifier les « hotspots » et de piloter l’amélioration continue.

Car en effet, la mesure des DIRO Nature n’est pas un exercice de conformité, mais un levier de transformation et de résilience pour la banque et la finance. Par leur position transversale et la diversité de leurs portefeuilles, les acteurs financiers sont en mesure d’orienter les flux et d’accélérer la transition vers une économie « nature positive ». Mais au-delà d’un « devoir » moral ou réglementaire, c’est bien dans leur propre intérêt : la résilience du secteur financier dépend de la stabilité des écosystèmes et de la capacité à anticiper les risques systémiques liés à la dégradation du capital naturel.

Enfin, la transition « nature positive » ne peut être dissociée d’une vision large de la vulnérabilité et de la justice sociale. Les impacts de la dégradation de la nature touchent d’abord les plus vulnérables, et la transition doit être juste, inclusive et protectrice. Les institutions du secteur bancassurance ont un rôle clé à jouer : non seulement pour protéger leur propre résilience, mais aussi pour accompagner l’ensemble des parties prenantes – entreprises, territoires, ménages – dans une transformation qui soit à la fois écologique, économique et sociale.

Exemple d’un récent accompagnement de Wavestone en lien avec ces enjeux :

Wavestone a conduit, pour le compte d’un groupe bancaire français, une étude relative aux business models et pratiques de ses clients corporate en matière de biodiversité. L’étude comportait plus précisément :

  • Une analyse des pratiques et business models biodiversité de 17 entreprises issues de 5 secteurs d’activité (agroalimentaire, infrastructures techniques et bâtiments, transports, énergie, mode & habillement) : grandes tendances globales, analyse des spécificités sectorielles, focus sur les coalitions et alliances, les financements des actions de protection / restauration ;
  • Un focus sur les solutions fondées sur la nature : études de cas clients et écosystème d’acteurs qui y est associé.
Leah BALL, Manager
Pour aller plus loin :
  • Banque de France, Svartzman et al. (2021), « Un printemps silencieux pour le système financier ? »
  • Actes du colloque DEFi (2022), « Dialogue Entreprise – Finance : Solutions et actions pour la nature »
  • NGFS, « Nature-related Financial Risks: a Conceptual Framework » (2023)
  • TNFD, « Beta Framework » (2022)
  • CSRD, textes et guides EFRAG
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