De l’individu au travail aux grandes mutations macro-économiques : la culture d’entreprise comme levier de mobilisation et d’adhésion des salariés à la stratégie des entreprises
Parmi les grandes mutations économiques qui ont modifié le paysage économique français, certaines d’entre elles ont particulièrement modelé la place de l’individu au travail : libéralisation des entreprises publiques, émiettement de la société salariale, mouvement contradictoire de concentration et de démantèlement des entreprises… Cette dernière mutation, avec ses opérations parfois chaotiques de fusion, de revente de filiales ou d’absorption d’entreprises concurrentes, devaient porter les intentions stratégiques des managers.
Et le salarié dans tout ça ? Les ruptures dans l’histoire des entreprises peuvent mettre à mal le sentiment d’appartenance des salariés et l’adhésion qu’ils portent à la stratégie de leurs managers.
Le travail demeurant l’une des principales instances de socialisation des individus, les ruptures dans l’histoire des entreprises peuvent mettre à mal le sentiment d’appartenance des salariés et l’adhésion qu’ils portent à la stratégie de leurs managers.
Quelle est la place de l’individu au travail et les freins à son adhésion à la stratégie de l’entreprise ? Quelles sont les pistes d’action aux managers pour remobiliser les salariés ?
L’organisation étudiée est une ancienne institution publique, qui a depuis les années 1970 connu une diversification de ses activités, l’achat d’entreprises concurrentes puis son absorption au sein d’un grand groupe privé.
A ses salariés historiques, autrefois recrutés sur concours se sont ajoutés une pluralité de couches, sédimentant le corps social de l’entreprise au gré des rachats et de son histoire. A différents niveaux, l’on retrouve cette population d’historiques, au top management comme à sa base. A côté de ces anciens fonctionnaires peut-on retrouver aujourd’hui de jeunes cadres, ceux là mêmes issus de la « Génération Y ». Ce faisant, des valeurs républicaines portées par institution aux préceptes enseignées dans les grandes écoles de management, de la mission de service public héritée de l’histoire à la nouvelle stratégie définie par le groupe et les cabinets de stratégie… le corps social est clivé.
La communication interne étant construite par ligne métier, les grands récits censés structurer le sentiment d’appartenance et diffuser des valeurs partagées auprès de chaque salarié, n’ont plus cours. Les valeurs de l’entreprise ne sont plus partagées. Pis, elles ne sont pas connues, comme vouées à être supplantées par l’éternelle dialectique de la tradition et de la modernité. Censées mobiliser et appeler les salariés à l’action à la simple évocation de leurs noms, à la manière d’un référentiel naturellement intériorisée, ici, les valeurs cristallisent les clivages, quand elles ne suscitent pas l’indifférence.
Le rôle du manager est dépourvu de socle commun. Au fort sentiment hiérarchique hérité du public se juxtapose incongrument des modes de collaboration et de responsabilisation plus modernes. Les entretiens d’évaluation et la fixation des objectifs sont tantôt directifs et sans appel, tantôt participatifs, dans un mode négocié qui appelle l’adhésion du collaborateur.
Au final, c’est autant de rapports au travail, à l’entreprise et à la stratégie de l’entreprise. Quand certains font état d’un « attachement viscéral », d’autres nourrissent un sentiment moins inconditionnel. A l’adhésion procédant du sentiment d’appartenance, d’autres privilégient la connaissance rationnelle de la stratégie. De nombreux salariés ont besoin de faire confiance à la Direction et de connaître suffisamment la stratégie pour y adhérer.
Ainsi, les pistes d’action contre l’émiettement du sentiment d’appartenance et la fragilisation de la confiance accordée à Direction prendraient la culture d’entreprise comme levier principal de renouveau :
– La communication interne doit produire un récit commun, partagé, compréhensible par chacun en dépit des spécificités métiers et techniques, une littérature unique qui tisse un lien transverse à chaque ligne métier, dans chaque espace géographique et auprès de l’ensemble des populations. Ces récits se ponctuent d’évènements fondateurs d’une nouvelle histoire, réunissent l’ensemble des salariés dans une histoire commune et mobilisent dans un projet commun.
– Du top management au manager de proximité, l’ensemble de la ligne managériale doit partager une même conception du rôle de manager commune à chaque échelon hiérarchique et dans chaque ligne métier. Ainsi, la culture managériale se charge de diffuser auprès de l’ensemble des collaborateurs une même culture de travail, des principes communs, des exigences partagées et des standards de qualité homogènes.
C’est ainsi sans doute à la Direction des Ressources Humaines de prendre la responsabilité de la conduite de ce type de grands projets stratégiques.
Auteur : Valéry TAN
Bonjour,
Pensez vous possible justement l’uniformisation et l’homogénéisation du système d’organisation d’une entreprise après différentes fusions qui ont affaibli la culture d’entreprise de base et après un certain temps, où ses valeurs n’ont plus beaucoup d’importance pour les salariés ? La création d’une « nouvelle » culture d’entreprise permettrait elle de rendre l’entreprise plus efficace et de définir un sentiment d’appartenance des salariés plus important ?
LJ
Sans doute que dans toute autre entreprise, un déficit de lien et de symboles communs n’aurait pas semblé autant lacunaire aux yeux des salariés. En l’espèce, il y avait dans ce cas précis une forte demande de culture. L’histoire de cette entreprise est effectivement traversée par ce désir d’appartenance si bien qu’aujourd’hui, sa dilution a pu amener à un état de crise, de clivages et de formation de clans. Les salariés ont justement déploré l’éclatement de la culture. Mais il s’agit moins d’inventer ex nihilo de nouvelles croyances que de rappeler aux collaborateurs un ensemble de valeurs préexistantes. Encore faut-il les connaître puis être capable de les ranimer… Egalement, rappelons que la culture n’est pas quelque chose d’abstrait, et l’un de ses piliers pour favoriser l’adhésion à la stratégie est la culture managériale, qui comprend outre le système managérial (mode de fixation des objectifs, rapports de subordination, modalités de reporting, etc.), les valeurs auxquelles chaque collaborateur peut se rapporter en toutes circonstances, en somme, une maxime de l’action qui sert de référentiel dans une multiplicité de situations. En cas d’incertitude, chacun doit pouvoir fonder ses décisions sur un socle resserré de valeurs.