Quels impacts du changement climatique sur le système agricole ? – Panorama d’un système en bout de course (1/2)

Près de deux semaines après la clôture du salon de l’agriculture, la grogne agricole ne faiblit pas malgré les engagements politiques pour y remédier. Dans cette actualité tumultueuse, où la juste rémunération, la concurrence inégale, et la lassitude règlementaire des agriculteurs ont été remises sur le devant de la scène, une information pourtant cruciale est passée inaperçue : le rapport du Haut Conseil pour le Climat sur le système Agricole, dressant le diagnostic du système agricole français face aux enjeux climatiques. À sa publication, la Présidente du Haut Conseil pour le Climat (HCC), Corinne Le Quéré, tirait la sonnette d’alarme : « le système alimentaire et la production agricole sont en première ligne des défis climatiques »[1].

La responsabilité de l’agriculture dans le dérèglement climatique et la quête d’une agriculture « bonne » pour l’environnement

La relation de l’agriculture au dérèglement climatique est singulière : à la fois victime et bourreau, elle en essuie les conséquences tout en y contribuant. Responsable de 18% des émissions françaises de Gaz à Effet de Serre (GES), le modèle agricole hexagonal semble inadapté aux futurs enjeux. Les ruminants sont particulièrement mis en cause : le méthane, avec un pouvoir réchauffant 28 fois plus élevé que le CO2, « serait responsable d’environ 20% de l’accroissement de la température (+1ºC) observé au cours du siècle »[2], alerte l’INRAE. Les rizicultures, peu évoquées car ne concernant que marginalement le territoire français, contribuent ailleurs fortement au bouleversement climatique : la méthode par inondation est à l’origine de presque 10% des émissions de GES de l’agriculture mondiale[3]. À cela s’ajoute enfin, entre autres, l’épandage des engrais azotés, l’utilisation des engins, et l’exploitation des terres – actuellement les sols agricoles émettent plus de GES qu’ils n’en conservent[4].

Ainsi, la nécessité d’une transition du système agricole au regard de ses conséquences sur le climat, mais également de ses impacts sur l’environnement, apparaît comme une évidence, notamment pour garantir sa survie. Mais un rapport du Sénat rédigé en 2020 questionnait cette notion même d’« alimentation bonne pour l’environnement »[5] – car « bonne » au regard de quels critères ? Les émissions de GES ? La fertilité des sols ? L’usage des ressources en eau ? Une question majeure émerge donc aujourd’hui : comment répondre aux défis associés à la nécessaire adaptation climatique du modèle agricole, sans pour autant négliger les réponses fondées sur des critères écologiques, et intégrant par exemple des exigences de biodiversité ?

Une agriculture à bout de souffle face au dérèglement climatique

« Chaque fraction de degré de réchauffement planétaire se traduit en France par une intensification des extrêmes chauds, une plus grande variabilité du cycle de l’eau à la fois par l’intensification des pluies extrêmes, et l’augmentation de la récurrence, la durée et l’ampleur de la sécheresse des sols », constate le Haut Conseil pour le Climat (HCC), dans les premières pages de son rapport[6].

Le dérèglement climatique se fait déjà percevoir concrètement. Les dates de semis et de récoltes sont avancées, particulièrement pour les vendanges – dont la date est « un marqueur efficace du réchauffement climatique ». Ces dernières ont désormais lieu 18 jours plus tôt qu’il y a 40 ans[7]. Les rendements peinent à augmenter, la production de blé plafonne depuis les années 2000[8] en raison des printemps plus secs et chauds. Si les précipitations abondantes depuis l’automne ont inversé la tendance allant vers une sécheresse territorialisée (bien que dans certaines régions, le niveau des nappes demeure anormalement bas comme dans le Roussillon[9]), les indicateurs de pluviométrie, de sécheresse des sols, et de sécheresse hydrologique, ont longtemps été dans le rouge entre 2021 et 2023[10].

« La diminution graduelle de l’humidité des sols dans un climat plus chaud, l’allongement de la durée de la période sèche, la forte incertitude sur les précipitions incitent à des transformations plus profondes » insiste le HCC[11]. En effet, avec 58 % de l’eau douce française consommée pour des usages agricoles[12], la poursuite de notre modèle agricole est inenvisageable, et cela, a fortiori au regard des sécheresses auxquelles nous serons exposés, intensifiant notre dépendance à l’irrigation. Or, les ressources en eau vont se raréfier : d’ici le milieu du siècle, le renouvellement des nappes phréatiques pourrait diminuer de 10% à 25%, voire de 30% à 55% pour le Sud-Ouest.

Enfin, les gelées printanières risquent de se multiplier, le dérèglement climatique augmentant de 60% leur apparition[13]. Le réchauffement des températures entraîne une floraison précoce des bourgeons, mais la végétation, notamment les arbres fruitiers et les vignes, est très fragile à cette période ; les bourgeons ne supportent pas des températures inférieures à -4°C[14]. Ces effets cumulés conduisent à une chute des rendements : le sol français éprouve déjà une diminution de 21% de son rendement agricole en raison des changements liés au climat, estime le HCC[15].

Et nous mentionnons ici les seules conséquences climatiques. Ces impacts sont à mettre en perspective avec l’ensemble du modèle intensif agricole, auquel se conjugue les effets du remembrement, le recours aux pesticides, l’érosion des sols, l’effondrement de la biodiversité et l’irrigation massive de certaines cultures (qui pourtant ne représentent que 7,3% des surfaces agricoles en 2020[16]). La résilience des systèmes alimentaires est donc cruciale, alors que les bouleversements se révèlent, dans une large mesure, irréversibles.

Fort de ce constat, nous explorerons dans un prochain article des pratiques agricoles et solutions à déployer pour adapter notre modèle agricole aux défis climatiques à venir, sur la base d’un parti pris : elles reposeront sur des principes de diversité, de résilience, et d’adaptation.

Voir aussi : Quels impacts du changement climatique sur le système agricole ? – Transformer notre système agricole pour l’adapter aux défis climatiques de demain (2/2)


Nastassia LAGAUDE (Consultante)

[1] Le Haut conseil pour le climat appelle à une transformation profonde du secteur agricole et alimentaire, Justine Prados, Le vert, 25/01/2024

[2] L’agriculture face au changement climatique. Quels impacts et quelles solutions ? INRAE, 26/09/2022

[3] Naviguer les défis de la chaîne d’approvisionnement mondiale en riz, Hatim ISSOUFALY, Julia HANI, KSAPA, 17/11/2023

[4] Il faut plus d’aides pour verdir l’agriculture, disent des experts du climat, Justine Guitton-Boussion, Reporterre, 25/01/2024

[5] Vers une alimentation durable : Un enjeu sanitaire, social, territorial et environnemental majeur pour la France, Rapport d’information de Mme Françoise CARTRON et M. Jean-Luc FICHET, Sénat, 28/06/2020

[6] Accélérer la transition climatique avec un système alimentaire bas carbone, résilient et juste, Haut Conseil pour le Climat, 25/02/2024

[7] Impacts du changement climatique : Agriculture et Forêt, Ministère de la Transition Ecologique et de la Cohésion des Territoires, 04/10/2022

[8] Plafonnement des rendements de blé en France : mise en place d’une méthodologie d’analyse rétrospective des données météorologiques, Marine Marjou, Sciences du Vivant, 2018

[9] La sécheresse est-elle toujours d’actualité en France ? Météo Paris, 27/01/2024

[10] Sécheresse : pourquoi l’état des sols et des nappes phréatiques inquiète encore, Léa Sanchez, Gary Dagorn, Le Monde, 13/01/2023

[11] Accélérer la transition climatique avec un système alimentaire bas carbone, résilient et juste, Haut Conseil pour le Climat, 25/02/2024

[12] Eau et agriculture, INRAE, 13/04/2023

[13] La probabilité de gelées printanières causant des dommages agricoles a augmenté de près de 60% en France, CEA, 16/06/2021

[14] Pourquoi les gelées de début de printemps fragilisent particulièrement la végétation, Sophie Cazaux, BFMTV, 04/04/2023

[15] Accélérer la transition climatique avec un système alimentaire bas carbone, résilient et juste, Haut Conseil pour le Climat, 25/02/2024

[16] Les surfaces irriguées en hausse depuis dix ans en France, Angela Bolis, Le Monde, 27/06/2022

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