La crise sanitaire a été synonyme d’insécurité financière et d’éloignement social pour bon nombre de salariés qui se sont donc interrogés sur la rémunération globale qui leur est attribuée. Il ressort de ces réflexions le besoin urgent d’un nouveau modèle de rémunération plus transparent, plus flexible et qui valorise l’utilité commune d’un métier.
“Ce qu’on nomme la crise n’est que la longue et difficile réécriture qui sépare deux formes provisoires du monde.”, Jacques ATTALI / Les Trois Mondes (pour une théorie de l’après-crise).
Télétravail, chômage partiel, et coupes salariales ont bousculé les entreprises durant la crise de la COVID-19. Les entreprises sont entrées brutalement dans la « longue et difficile réécriture » du monde entrepreneurial, pour citer Jacques Attali dans Les Trois Mondes (pour une théorie de l’après-crise). Les entreprises ont su réécrire les modes de travail (télétravail, heures flexibles, etc). Or, faire évoluer les modes de travail sans réfléchir aux impacts sur le système de rémunération serait prendre le risque de créer des déséquilibres.
Une gestion de la rémunération chaotique
L’incertitude, l’isolement et l’imprévisibilité de la pandémie ont suscité un stress et une anxiété vis-à-vis de la rémunération, notamment pour les personnes dont l’emploi avait été évalué “à risque d’exposition au COVID-19″. Certains salariés ont été mis au chômage partiel par leur employeur quand d’autres ont été directement licenciés, fragilisant de fait les revenus des intéressés. Cela incite les jeunes diplômés à rechercher la sécurité de l’emploi en se tournant davantage vers l’emploi public, loin des coupes salariales et des licenciements largement appliqués dans le secteur privé. Aux licenciements s’ajoute une gestion chaotique et non équitable. En effet, ces coupes dans les effectifs ont contraint les salariés restants à assumer de nouvelles fonctions. Or, 63% des salariés déclaraient en 2021 avoir été sous-payés ou payés en retard.
Aujourd’hui, un contexte favorable à la négociation pour les salariés
La forte reprise économique post COVID-19 a donné aux salariés se sentant lésés l’élan de démissionner. Ceci explique en partie le mouvement de la Grande Démission (« The Big Quit » en anglais) identifié aux Etats-Unis en 2021. En France, le taux de démission est certes élevé (2,7% au premier trimestre 2022) mais n’atteint pas les records de la crise financière de 2008-2009 (2,9%). Voir graphique ci-dessous.
Ce taux de démission illustre un phénomène normal en temps de reprise économique : de nouvelles opportunités apparaissent et incitent les salariés à changer d’employeur. Cependant, la capacité de recrutement des entreprises reste atrophiée, notamment pour les secteurs du bâtiment, de l’industrie manufacturière et des services. Une difficulté en partie expliquée par des pratiques de « débauchage » entre entreprises. En effet, le retour à l’emploi des démissionnaires est rapide et se fait sur le même poste. Le pouvoir de négociation des salariés est donc plus élevé que la normale obligeant ainsi les entreprises à augmenter le salaire d’embauche et à faire plus de concessions sur les avantages extra-financiers (télétravail, horaires d’embauche, etc).
Au-delà de la rémunération, l’avantage d’un travail flexible
Une étude réalisée avant la crise de la COVID-19 montrait que les 3 avantages hors salaire les plus valorisés par les employés étaient dans l’ordre croissant : les tickets restaurants, la possibilité de travailler à mi-temps et enfin la possibilité d’avoir des heures de travail flexibles. Plus de la moitié des répondants indiquaient qu’ils considéraient ces avantages comme déterminants dans la comparaison des offres d’emploi, marquant ainsi l’importance pour les entreprises d’en faire des points forts de la marque employeur. La COVID-19 a rebattu les cartes puisque les avantages liés à la flexibilité du travail (télétravail ou heures flexibles) sont devenus prioritaires. L’attractivité d’une entreprise semble reposer plus aujourd’hui dans sa capacité à proposer un environnement prenant en compte la qualité de vie personnelle (crèche, travail à mi-temps, heures de travail flexibles) que dans sa seule capacité à offrir une rémunération fixe comparable à celle de ses concurrents.
Une rémunération de compétences interrogée
Fortement impactés par la COVID-19, certains métiers pour lesquels les rémunérations n’étaient pas les plus gratifiantes (personnel de santé, forces de l’ordre, agriculteurs, …) ont vu au contraire les rythmes de travail augmenter. La pandémie a ainsi mis en lumière un paradoxe : la nécessité systémique d’un métier ne détermine pas aujourd’hui sa valeur financière. En effet, ces métiers dits « essentiels » sont très peu rémunérés et reconnus quand on les compare à des métiers dits « non-essentiels », en termes de réponse à nos besoins primaires.
La pandémie a donc soulevé la question de la justice de rémunération. Si l’Etat a bien incité les entreprises, à l’aide de mesures ponctuelles, allégées de charge sociales, à proposer des primes pour récompenser le mérite des personnes exerçant ces métiers pendant la crise, il demeure aujourd’hui une forme de « malaise ». Ceux qui exercent ce métier se sentent injustement récompensés. Il revient ainsi à la RSE de veiller au respect et à l’intégration de ses parties prenantes. Une occasion pour les entreprises d’intégrer l’utilité sociale d’un savoir-faire (autrement appelée « utilité commune ») comme critère de rémunération.
Un nouveau modèle de rémunération: plus transparent et plus solidaire
Se sentir utile et trouver du sens dans son travail sont les besoins de la nouvelle génération, besoins particulièrement accentués avec la pandémie. En effet, la génération Z se définit comme une génération, en quête de transparence et de sens. Ainsi, gagner de l’argent a moins de sens que celui d’être impliqué dans un travail innovant et challengeant, de sorte que la génération Z accorde plus d’importance en début de carrière aux promotions et bonus récompensant leur travail plutôt qu’à un salaire mensuel fixe. Les nouvelles générations invitent ainsi les entreprises à réinventer leur modèle de rémunération en intégrant des critères de transparence et d’utilité pour le bien commun. A ce titre, des entreprises ont mis en place des politiques de rémunération innovantes : grille de salaire coconstruite avec les parties prenantes, accès libre et en ligne aux rémunérations de n’importe qui, ou enfin la possibilité de définir son salaire.
Wavestone accompagne ses clients sur l’évolution de leur système de rémunération
Wavestone accompagne ses clients sur la construction, la réflexion, l’organisation et le déploiement des structures de rémunération complètes et socles sociaux à destination de leurs collaborateurs. Ces packages globaux permettent de mettre en avant les équilibres financiers et sociétaux au regard des objectifs de l’entreprise dans le cadre d’une rémunération plus transparente et solidaire.
Dans ce cadre, Wavestone a accompagné, entre autres, le groupe BPCE, le cabinet Grand Thornton, l’OPCO Atlas, l’ANAH, etc.
Sources :
- Les répercussions durables de la crise sur le management, Soufyane Frimouss
- La France vit-elle une Grande Démission ? Adrien Lagouge, Ismaël Ramajo, Victor Barry, DARES
- Comment mettre en place une politique de rémunération innovante, équitable et transparente ? 20 décembre 2021, Sarah Akel, Change the Work
Jean-Christophe Procot, Expert en rémunération et statuts sociaux
Constance Gautier, Consultante