Décarbonation : un processus long qui requiert des règles, de la créativité, de l’espace et du temps…

En 1975, la planète faisait face au premier choc pétrolier. Pour tenter de trouver des solutions à ce problème résolument global, les 7 principales puissances d’alors (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon et Royaume-Uni) se sont réunies en créant le G7, plateforme commune de dialogue et d’action pour aborder ensemble les grands défis contemporains (notamment en matière de sécurité et de développement). Le G7, auquel s’est depuis associé l’Union Européenne, représente encore 40 % du PIB mondial et 10 % de la population. Si les grands équilibres géopolitiques ont beaucoup évolué depuis 1975, il conserve une influence importante dans la marche du monde.

Force est de constater que 50 ans après sa création, l’énergie occupe toujours une place centrale dans l’agenda du G7… Il y a une semaine, ses ministres de l’Energie, du Climat et de l’Environnement, réunis au Japon, ont partagé plusieurs annonces relatives à la lutte contre le changement climatique et la pollution plastique. Avec pour objectif principal d’accélérer la sortie des énergies fossiles, tout en réaffirmant le soutien aux pays émergents (en préparation des prochaines échéances du G20 en Inde et de la Conférence des Nations unies sur le climat, COP28, à Dubaï).

N’en déplaise aux éternels pessimistes, la nécessaire décarbonation de l’économie mondiale s’affirme comme une préoccupation partagée à haut niveau dans la gouvernance planétaire. 

Nous nous engageons ainsi collectivement dans un processus complexe, qui requiert des règles, de la créativité, de l’espace et du temps :

Premièrement, la décarbonation est un processus de long terme particulièrement ambitieux, qui nécessite d’être encadré par un certain nombre de règles pour assurer son bon fonctionnement dans la durée. Il faut en effet se préparer à l’émergence de nouvelles formes de conflits d’usage, par exemple autour de l’électricité décarbonée, dont on sait d’ores et déjà qu’il n’y en aura pas suffisamment pour tout le monde et pour couvrir tous les usages (or la demande ne cessera de croître, puisque cela reste dans de nombreux cas la solution la plus simple pour décarboner). Il faudra donc des règles pour s’accorder sur les usages prioritaires de cette nouvelle électricité (industrie, transport…), mais aussi pour faire face aux nouveaux risques qui accompagneront la décarbonation (avec par exemple les futurs usages de l’hydrogène, peut-être de l’ammoniac, pour la fabrication chimique d’électro-carburants à partir de matières premières renouvelables et/ou décarbonées). Ces règles seront nationales, régionales et mondiales, et il faudra bien sûr s’efforcer de les rendre aussi lisibles et cohérentes que possible, en trouvant le meilleur équilibre entre standardisation et prise en compte des réalités locales.

Deuxièmement, la décarbonation requiert un effort considérable en matière de créativité, car il nous faut inventer rapidement de nouvelles solutions pour répondre à plusieurs besoins fondamentaux de l’humanité (s’approvisionner en énergie, se nourrir, se déplacer, se soigner…). Cette créativité requiert d’une part de l’optimisme (difficile d’inventer un nouveau paradigme sans confiance dans la possibilité d’une forme de progrès au service de l’intérêt général, et sans envie de se projeter dans un futur désirable…), et d’autre part de la collaboration (rares sont les acteurs économiques ou politiques encore convaincus qu’ils pourraient inventer seuls les clés de la profonde transformation qui nous attend…). La décarbonation est un formidable projet d’avenir, elle ne va ni s’autodécréter ni s’autoréaliser, et sa réussite (sa possibilité, même) dépend en grande partie de l’envie collective d’inventer les solutions de demain. Comment résoudre les défis technologiques et économiques qui demeurent considérables, par exemple en matière de rendement, de stockage, de distribution énergétique… ? Comment nous affranchir de l’extraordinaire densité énergétique des combustibles fossiles ? Les défis sont bel et bien immenses.

Troisièmement, la décarbonation reposera en grande partie sur de nouvelles infrastructures (réseaux, sites, équipements…), qui seront amenées à occuper un espace physique croissant, à terre comme en mer (cf. les îles énergétiques artificielles). Là encore, des arbitrages seront nécessaires pour régler les conflits d’usage de l’espace, surtout dans les zones les plus densément peuplées (par exemple les ports). La décarbonation de l’économie s’accompagnera de choix systémiques en matière d’urbanisme, d’aménagement, de gestion foncière, autant de questions qui devront être posées pour lever les verrous et créer les conditions de la transformation de nos modèles énergétiques. D’autres problématiques surgiront, relatives à l’empreinte de ces nouvelles infrastructures de production et de distribution, à leurs retombées positives mais aussi éventuellement négatives pour les territoires concernés et leurs populations. Les énergéticiens feront face à des choix cornéliens en matière de stratégie géographique de production de l’énergie (à proximité des utilisateurs, et/ou à proximité des matières premières et sources d’énergie, avec les problématiques associées en matière de transport et de rendement.

Enfin, quatrièmement, la décarbonation a besoin de temps : elle s’inscrit dans une dynamique de transition énergétique et écologique, dont on a trop souvent tendance à oublier qu’elle ne peut être que progressive, et non instantanée. Certes, l’urgence climatique est bien présente, sans cesse mieux objectivée par les travaux de la communauté scientifique internationale. Mais repenser et transformer l’approvisionnement énergétique mondial est sans conteste l’un des défis les plus considérables que l’humanité ait eu à affronter dans sa courte histoire. D’abord car les systèmes à décarboner sont d’une incroyable complexité (énergie, transport, logement, industrie, logistique…), ensuite car nous ne disposons pas à date de toutes les solutions, aux bons niveaux de maturité. Par exemple, bien que le GNL demeure un hydrocarbure, il est probablement amené à jouer un rôle important dans la décarbonation du secteur maritime, en tant qu’énergie de transition vers le biogaz (obtenu par méthanisation) et demain vers des carburants de synthèse comme le e-méthane (obtenu par méthanation). Il nous faut donc accepter le principe d’approches hybrides et la coexistence, pendant une période probablement longue, d’archétypes de l’ancien et du nouveau monde, peut-être même d’allers-retours, sans jamais perdre de vue l’objectif de long terme.

Il est bon de garder à l’esprit ces 4 réalités inhérentes au processus de décarbonation, qui sont bien sûr étroitement liées entre elles. Elles permettent de conserver la vision stratégique d’ensemble, tout en prenant la mesure des enjeux. 

Certes, tout cela peut paraître trop long, trop fastidieux, trop lourd. Mais le monde énergétique est un monde de temps long, et ce serait vendre du rêve, que de promettre la possibilité d’une transition soudaine d’un point A à un point B (sans parler des enjeux, eux-aussi considérables, en matière d’acceptabilité sociale, de transformation des comportements et des usages, de conduite du changement, etc.). Le temps est aussi nécessaire pour bâtir et développer les économies d’échelles, sans lesquelles la décarbonation massive aura vraisemblablement du mal à trouver un modèle pérenne.

Finalement, la décarbonation de l’économie est une formidable occasion de revitaliser et de réenchanter la notion de progrès, autour d’un objectif commun. Que l’ampleur de la tâche ne nous effraie pas… Comme l’a si bien dit Jean Giraudoux, l’humanité n’est-elle pas une entreprise surhumaine ?

 

Cédric Baecher, Partner

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