L’année qui s’ouvre va indéniablement marquer la transformation de l’immobilier d’entreprise en produit de luxe. En cause ? La hausse du coût de l’énergie, déjà partie pour peser durablement sur l’usage de l’espace tertiaire d’entreprise. Et bien sûr le télétravail. Celui-ci a déjà connu une généralisation à marche forcée avec la crise sanitaire. En introduisant la notion de flex office, il a permis d’alléger des espaces que les entreprises entendaient rationaliser au regard de leur taux d’occupation réelle. Ce mode de travail devrait s’imposer encore davantage comme solution au coût énergétique du bâtiment. Il faut ainsi s’attendre à ce que les entreprises multiplient les initiatives d’austérité…comme la fermeture d’espaces aux heures les plus creuses ou les jours les moins fréquentés.
Le télétravail motivé par des raisons environnementales ?
En 2023, il ne serait pas surprenant non plus qu’au-delà du seul facteur du coût de l’énergie le recours au télétravail soit motivé par des arguments environnementaux. De facto, l’arbitrage pour un comportement plus sobre énergétiquement est de plus en plus courant parmi des salariés toujours plus sensibles aux problématiques écologiques. En témoigne d’ailleurs le cas d’une entreprise basée en France qui a organisé sa convention annuelle en Espagne et qui a été confrontée à la volonté de plusieurs de ses collaborateurs de se déplacer en train plutôt qu’en avion.
Mais au-delà des collaborateurs, les entreprises s’affairent elles aussi à mieux maîtriser l’empreinte énergétique de leurs actifs (immobiliers, flotte automobile, flotte informatique). Elles sont, de toutes façons, de plus en plus enclines à écouter leurs employés sur leurs convictions sociétales car elles influent très concrètement sur leur posture professionnelle… et donc sur leur engagement à moyen et long terme. Il faudra donc que, d’une manière ou d’une autre, la politique de télétravail des entreprises soit à minima cohérente, ou mieux encore, découle directement de la politique RSE des entreprises.
Télétravail, retour sur site ? Un dilemme complexe pour les employés… comme pour leurs managers
Il est également probable qu’en 2023, les managers aient du mal à convaincre leurs équipes de revenir plus souvent sur site. En effet, nombreux sont les employés qui résument le retour sur le lieu de travail à des journées entières passées dans des espaces partagés, le casque rivé sur les oreilles, pour enchaîner des visioconférences avec des interlocuteurs à distance, pour ne pas dire… en télétravail.
Force est d’ailleurs de constater que la demande pour élargir encore le nombre de jours de télétravail revient fréquemment dans les propositions de révision d’accords d’entreprises. Ou plus en amont, dès l’entretien de recrutement, les candidats n’hésitant plus à mettre dans la balance le nombre de jours « télé-travaillables », considérant l’existence de la modalité comme un standard de principe et conditionnant leurs intentions aux propositions les plus souples.
Le télétravail pourrait donc exacerber encore davantage les difficultés d’une ligne managériale intermédiaire, dans le cas (fréquent !) où celle-ci serait déjà en difficulté dans son rôle sur d’autres sujets. Ceci obligera sans doute les entreprises à prendre des mesures volontaristes (formation des managers, enquête auprès des managers, coaching individuel ou collectif, etc.) pour parvenir à définir un engagement réciproque entre manager et collaborateur permettant une mise en œuvre du télétravail plus souple, qui ne se limite plus strictement au cadre légal défini par un accord d’entreprise souvent perçu comme trop macro. En particulier, cet engagement pourra, par exemple, planifier les jours à distance tout en conservant une certaine intelligence situationnelle, associer opportunités individuelles et contraintes de groupe, rendre très qualitatifs les moments collectifs en présentiel, favoriser une communication sans intrusion et limiter l’infobésité, assumer que tout engagement suppose d’être révisé dans le temps…
La consécration du management par objectif
Les modes de travail devraient logiquement cette année consacrer le management par objectif. Cela aboutira sans doute à positionner encore davantage le salarié en responsabilité et en autonomie dans l’organisation de son travail entre présentiel et distanciel, ce que l’on peut appeler mix des modalités de travail. En 2023, les entreprises devront encore réfléchir à mieux accompagner leurs employés dans la composition de ce mix et à redoubler d’intelligence situationnelle.
La nouvelle année donnera donc de facto encore plus de latitude décisionnelle au collaborateur. Par exemple, le collaborateur dans un management contemporain aura davantage la main pour mieux planifier sa charge, pour gérer son temps et les priorités, pour décider de s’installer loin de son site de rattachement – en région pour les franciliens – s’il ou elle considère que ce n’est pas une contrainte substantielle aux objectifs qui lui seront fixés. L’enjeu pour l’entreprise n’est pas tant de savoir où le salarié se trouve que de s’assurer que l’objectif est atteint ou que la mobilisation du salarié est pleine et entière pour chercher à atteindre l’objectif.
En 2023, l’entreprise ne peut plus se permettre d’être en décalage avec les aspirations collectives et doit proposer un cadre qui se met au diapason des évolutions sociétales et de la volonté du collaborateur d’être plus que jamais acteur de son parcours professionnel.
L’entreprise : une valeur refuge
En 2023, le manager devra encore gérer l’incertitude et l’entreprise pourrait plus que jamais devenir une valeur refuge. Le vivre ensemble passe par la pertinence du temps collectif et la qualité de l’espace mis en place par l’entreprise. La marque employeur et la promesse d’une expérience collaborateur enrichie semblent naturellement être des sujets clés alors que les difficultés à recruter persisteront, notamment pour certains métiers en tension ou dans les secteurs qui se concurrencent pour capter les talents et les fidéliser.
L’année devrait donc être marquée par des salariés ou des candidats encore plus exigeants, conscients que le rapport de force s’équilibre et que la diversité et l’équité des modalités de travail proposées sont des enjeux RH de tout premier plan. Il est d’ailleurs probable que le phénomène de grande démission muera vers une attention systématique au bien-être des salariés, qui passera ainsi de point d’attention à axe d’avantage stratégique.
Enfin l’année 2023 nous rappellera encore que travailler à distance est un choix collectif et non individuel. Il s’agira de ne plus opposer le télétravail, le travail à distance et les bienfaits du temps commun sur site. Les entreprises internationales, où le manager est en Europe quand les équipes sont en Chine, resteront dubitatives sur ce qui freine d’autres organisations non encore converties à un système matriciel et à des organigrammes plats. Revenir sur site ne doit pas être le fruit d’une décision visant à contenter la conviction d’une Direction, pas plus d’ailleurs qu’une vision ajustée d’un management directif basé sur le jugement. Revenir sur site sera d’autant plus facile en 2023 que l’évaluation de la performance inclura des notions de confiance, d’équité et de transparence, quelle que soit la modalité d’organisation, présentielle ou distancielle.
Je terminerai en citant un salarié, convaincu que sa performance s’indexe sur le bien-être de son équipe : « Militant du full-remote, je profite du présentiel non parce que j’en exprime le besoin moi-même mais parce que mon entourage professionnel l’exprime et que c’est une motivation suffisante en soi, alors que l’année qui s’annonce sera pour nous un gros défi. »