Mesure de l’impact social dans l’ESS : vers une professionnalisation et une structuration croissantes 

Les acteurs de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS), qui inscrivent les enjeux environnementaux et sociaux au cœur même de leur stratégie, réfléchissent depuis de nombreuses années à la manière de mesurer l’impact social de leurs activités. En 2017, plus de 40 % des acteurs de l’ESS, soit presque un acteur du secteur sur deux, déclaraient mener des démarches d’évaluation de cet impact selon le labo de l’ESS. Cependant, mener ce travail de mesure implique l’allocation de temps et ressources dédiés, dont l’importance grandissante traduit une professionnalisation croissante des acteurs sur ces sujets 

Retour sur ce phénomène en passant en revue la montée en puissance de la mesure d’impact, la pluralité des démarches adoptées et les défis auxquels sont confrontés les acteurs de l’ESS.  

L’importance croissante de la mesure d’impact social au sein de l’ESS 

L’impact social est défini par le Conseil supérieur de l’ESS comme « l’ensemble des conséquences des activités d’une organisation tant sur ses parties prenantes externes, directes ou indirectes de son territoire, et internes, que sur la société en général ». Il est étroitement lié à l’émergence de la responsabilité éthique des investisseurs, des programmes de développement international ou encore l’évaluation de l’action publique. Apparu dans les années 1970, il devient plus courant dans les années 1990. Toutefois, c’est surtout ces dernières années que les acteurs de l’ESS s’en sont emparés plus largement, y conférant une importance croissante à des fins : 

  • De compréhension du changement qui s’opère par leur action ; 
  • De pilotage interne et d’optimisation stratégique ; 
  • De démonstration de l’impact en vue notamment de travailler l’image de marque ; 
  • D’engagement des parties prenantes internes et externes (partenaires financiers, etc.). 

Ainsi, la mesure d’impact social permet à la fois de répondre à des besoins internes mais également de gagner en crédibilité et légitimer les actions menées auprès des parties prenantes externes avec lesquelles les structures de l’ESS peuvent être amenées à collaborer (financeurs, entreprises, pouvoirs publics, etc.) et qui expriment des attentes croissantes en matière d’objectivation de l’impact 

Par ailleurs, les démarches de mesure d’impact social permettent également de nourrir le développement du secteur plus largement, fournissant des arguments pour appuyer les demandes et actions de plaidoyer auprès des pouvoirs publics pour une meilleure reconnaissance des actions conduites et/ou des politiques publiques davantage favorables au développement de l’ESS sur le territoire. 

Les différents visages de la mesure d’impact : complexité et nécessaire transdisciplinarité 

Les méthodologies employées par les structures de l’ESS pour mesurer leur impact social sont plurielles, comme le montrent les résultats du Panorama de l’évaluation d’impact social en France (2021) réalisé par Impact Tank et l’ESSEC Business School. En effet, les moyens partagés par les organismes répondants à l’enquête sont diversifiés : trois-quarts des répondants indiquent développer des démarches de construction d’études relativement classiques (enquêtes, questionnaires, entretiens, observations), un répondant sur deux recourt à la théorie du changement en vue de modéliser les effets de son action et, plus rarement, certains indiquent réaliser un exercice de recherche de données de comparaison ou de valorisation monétaire (par ex. via la méthode SROI (Social Return On Investment)). 

Si les démarches engagées se construisent souvent sur des bases communes (identification des parties prenantes, description et explicitation de l’impact observé à court/moyen/long terme, quantification au travers d’indicateurs alimentés par un recueil de données), les moyens et méthodes mis en œuvre varient donc fortement d’une structure de l’ESS à l’autre.  

Il existe toutefois un consensus sur la difficulté de mesurer l’impact des activités sociales, d’inclusion, environnementales, exprimé par les acteurs du secteur eux-mêmes (un sur deux expriment la complexité technique de la démarche) ou des organismes extérieurs comme l’OCDE. Outre la matière elle-même complexe à objectiver, les compétences à mobiliser sont multiples. En effet, les apports de la sociologie ou de l’anthropologie sont tout aussi nécessaires à ce travail que des compétences en économie ou en gestion ou encore la maîtrise d’outils informatiques tels que les logiciels CRM (Client Relationship Management) ou ERP (Enterprise Resource Planning) 

Ainsi, agir sur l’humain ou le vivant nécessite d’adopter une approche transdisciplinaire afin de définir des indicateurs pertinents, fiables, accessibles, comparables et lisibles. Cela demande de s’équiper d’outils théoriques, méthodologiques et digitaux, mais également d’investir des ressources et acquérir des compétences précises. Un ensemble de contraintes impliquant pour le secteur une nécessaire professionnalisation sur le sujet de l’évaluation de son impact. 

Vers une professionnalisation et structuration croissantes de la mesure d’impact social  

La grande complexité et nécessaire transdisciplinarité de l’exercice de mesure d’impact social, couplées à l’attention croissante portée aux problématiques sociales et environnementales ces dernières années, ont contribué au développement de compétences et à la professionnalisation de cette fonction en interne. Cela a également impulsé le développement d’offres d’accompagnement externes, avec l’émergence d’acteurs spécialisés tels qu’Impact Tank cité plus haut, de chaires universitaires comme la Chaire Innovation et Entrepreneuriat Social de l’ESSEC et son accélérateur d’entreprises sociales Antropia, ou encore d’offres précises développées par des cabinets de conseil dont Wavestone. Par ailleurs, du côté des financeurs des structures de l’ESS, les critères de sélection des projets à soutenir ainsi que l’évaluation de ces derniers a également nécessité la création de postes dédiés. 

Ce besoin croissant de professionnalisation des démarches de mesure de l’impact, également impulsé en France par le secteur de l’ESS lui-même au travers du plaidoyer mené via des acteurs comme le Mouvement IMPACT France (ex-Mouves), naît par ailleurs du manque d’interopérabilité actuel des données ou méthodologies développées. Pour répondre à cet enjeu de lisibilité et alignement, des travaux de structuration ont été lancés par le secteur ainsi que les pouvoirs publics français à l’échelle nationale (ex. Haut Conseil à la Vie Associative, Secrétariat d’Etat à l’ESS, etc.), mais également par des acteurs européens et internationaux. L’action mondiale de l’OCDE pour la promotion des écosystèmes de l’économie sociale et solidaire lancée en 2020 en est une illustration. Bénéficiant du soutien financier de l’Union Européenne, cette action comprend un groupe de travail dédié à la thématique de la mesure d’impact dans l’ESS, rassemblant 18 organisations de 9 pays différents. 

Si la mesure d’impact social est clé pour évaluer la pertinence, l’efficacité, l’efficience ou l’impact des actions menées par les organisations de l’ESS, il n’en demeure pas moins que ces dernières travaillent avec une matière vivante et sociale, complexe, qu’il n’est pas aisé de « mettre dans des cases » et qui ne peut être retranscrite par les exercices de mesure d’impact que de manière partielle et simplifiée 

Pour aller plus loin :

 

Sources : 

Jovana Trajkovic, Consultante
Bérénice Bourgeois, Consultante
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