Climat : sans vision et traduction politique, le « rapport des rapports » du GIEC aura du mal à s’imposer…

Après une semaine de réunion en Suisse, les experts du GIEC publient aujourd’hui la synthèse de leurs travaux depuis 2016 (sixième cycle d’évaluation), et le désormais fameux « résumé pour les décideurs« . Ce texte constitue un baromètre scientifique et politique du niveau d’engagement que l’on peut vraisemblablement attendre lors des prochains rendez-vous de l’agenda international, dont la COP28 prévue à Dubaï fin 2023.

Comme plusieurs observateurs semblent l’affirmer, ces publications vont-elles pour autant façonner les décisions politiques lors des prochaines conférences mondiales sur le climat ?

Rien n’est moins sûr, pour au moins quatre raisons :

Premièrement, les opinions publiques pèsent de plus en plus lourd dans les arbitrages rendus par les Gouvernements, en tout cas dans les pays dont les institutions fonctionnent sur une base démocratique (45 % de la population mondiale seulement, comme le rappelle le baromètre annuel Democracy Index publié par The Economist). Cette prééminence des opinions ne fait que se renforcer, alors que les crises successives rendent le monde chaque jour un peu plus fébrile au plan social et politique. Il faut aujourd’hui un courage, une légitimité, une abnégation tout à fait extraordinaire pour gouverner (et assumer des décisions impopulaires, comme celles qui vont souvent de pair avec la lutte contre le changement climatique).

Deuxièmement, le GIEC demeure une émanation de l’ONU, principale institution internationale dont la légitimité est contestée par des pays qui considèrent que sa gouvernance reflète un monde passé, hérité de la seconde guerre mondiale. Il est important pour l’Occident en général, et l’Europe en particulier, de ne point trop se regarder le nombril et de rester lucides sur la diversité du monde qui reçoit ce nouveau rapport du GIEC. Les pays du « Sud global », certes hétérogènes mais collectivement non-alignés, se perçoivent comme les principales victimes des effets négatifs de la mondialisation et sont activement en quête de nouvelles postures et alliances, dans un monde marqué par les rapports de forces, la quête de puissance et les tensions sur l’accès aux ressources naturelles.

Troisièmement, la science fait de moins en moins recette, notamment auprès des jeunes (particulièrement en France). Pour le GIEC, ses relais nationaux et la communauté scientifique au sens large, la tâche est immense. Il faut alerter sans relâche sur l’existence d’une convergence historique entre des milliers de travaux, conduisant à un diagnostic partagé qui engage le futur de l’humanité. Et en parallèle mener un combat de long terme pour recréer un socle de confiance dans la science, alliant curiosité, envie, connaissances fondamentales et foi dans la possibilité d’un juste progrès, autant de prérequis essentiels pour que le GIEC puisse rester audible et que les Gouvernements, les entreprises et la société dans son ensemble puissent s’en servir sans compter, et sans crisper, au service du bien commun.

Enfin, force est de constater que le politique n’a pas vraiment su à date transformer les constats scientifiques du GIEC en véritable projet politique, suffisamment fédérateur pour initier un réel changement de paradigme. Le volet social demeure un « angle mort » de nombreux discours sur la transition énergétique et écologique, et l’on ne cesse de brandir l’urgence climatique comme un objet d’évidence, supposé compris et accepté par tous, alors que des différences de perception considérables subsistent à diverses échelles, entre territoires et acteurs. La mobilisation de l’Union Européenne est courageuse, par exemple pour développer l’économie circulaire et la mobilité décarbonée, mais demeure à ce stade trop « technique », manquant d’une vision et d’un projet politique partagé.

Depuis 35 ans, le GIEC accomplit un effort collectif historique pour bâtir un socle de compréhension commune des bouleversements à l’œuvre. Mais pour prendre toute l’ampleur qu’ils méritent, ces travaux devraient constituer le point de départ d’une nouvelle ambition collective, insuffisamment formulée à ce jour.

Que veut-on précisément ? Préserver notre souveraineté ? Sauver un modèle social ? Rééquilibrer la marche du monde ? Corriger des inégalités ? Inventer la France et l’Europe de demain ? Survivre ? Tout cela à la fois ?

Alors que se prépare le premier bilan mondial de la mise en œuvre de l’accord de Paris, il est urgent de répondre à cette question essentielle.

Cédric Baecher, Partner

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