L’année 2023 a marqué un tournant majeur dans la législation européenne concernant la production de batteries électriques. Un premier jalon a été posé en mars, avec l’adoption définitive de l’interdiction de la vente de véhicules thermiques d’ici à 2035 et a accéléré la transition vers une mobilité plus verte, augmentant ainsi la demande de véhicules électriques et, par extension, de batteries électriques. Puis en août, l’Europe a innové avec une nouvelle directive la plaçant en tête de la réglementation du recyclage des batteries. Plus récemment, en mars 2024, l’approbation de la législation sur les matières premières critiques (Critical Raw Materials Act), concentrée sur le lithium, le cobalt et le nickel — tous essentiels à la fabrication des batteries — par le Conseil européen, a encore renforcé cette dynamique. Ces mesures législatives dessinent un avenir où l’Europe aspire non seulement à une autonomie accrue mais également à un rôle prépondérant sur le marché mondial des batteries.
Demande de batteries en hausse rapide
Selon les derniers chiffres[1] de l’ACEA (Association des Constructeurs Européens d’Automobiles), la part de marché des véhicules électriques a frôlé les 15% sur l’ensemble de l’année 2023 et affiche une croissance constante. Au niveau international, l’AIE[2] (Agence Internationale de l’Énergie) estime que près de 17 millions de voitures électriques (100% électriques ou hybrides rechargeables) pourraient être vendues dans le monde en 2024, contre presque 14 millions en 2023, représentant une croissance de 21%. À plus long terme, ce chiffre pourrait même atteindre 40 millions en 2030 selon Bloomberg NEF[3].
De la même manière, la demande de batteries est également tirée par le déploiement progressif des énergies renouvelables, notamment le solaire et l’éolien. Contrairement aux moyens de production traditionnels, ces deux sources sont intermittentes, nécessitant par conséquent des capacités de stockage pour pouvoir répondre aux besoins aux heures de pointe. Selon Bloomberg NEF, 1143 GWh supplémentaires de capacité de stockage devraient être installés d’ici à 2030.
Autant d’éléments nécessitent des batteries, ce qui incite les fabricants à accélérer leur production. McKinsey[4] prévoit qu’en 2030, près de 4700 GWh de batteries lithium-ion seront produites à l’échelle mondiale, contre 500 GWh en 2021. En l’espace de neuf ans, la production sera multipliée par neuf. Cependant, les fabricants européens peinent à tirer profit de cette tendance.
Concurrence internationale
La transition écologique, nécessaire face au changement climatique, inaugure pareillement une ère de redistribution des intérêts économiques, rebattant les cartes des premiers de peloton. L’Europe, toutefois, n’est pas seule dans cette course. Aux États-Unis, sa loi de Réduction de l’inflation (en anglais : Inflation Reduction Act) de 2022 prévoit des subventions pour les fabricants de batteries sur le sol américain, posant ainsi un défi direct à la compétitivité de l’Europe. Pour réduire leur dépendance vis-à-vis de la Chine, les États-Unis sont déterminés à appliquer cette loi, malgré les contestations de leurs alliés européens, qui se retrouvent incapables de concurrencer le prix des batteries produites sur le sol américain.
De son côté, la Chine, champion incontesté de la production de batteries, s’affaire à maintenir sa position dominante. Investissant depuis le milieu de la dernière décennie dans cette course à la mobilité électrique, et grâce aux subventions généreuses de l’État, l’Empire du Milieu voit l’ère des véhicules électriques comme une opportunité pour rattraper son retard dans les moteurs thermiques et ainsi surpasser ses concurrents occidentaux. Visée par des tarifs douaniers punitifs de la part des États-Unis depuis mai 2024 puis les droits de douanes de l’Europe de l’Europe depuis juillet, la Chine cherche à trouver de nouveaux débouchés pour sa surcapacité de production.
Un décryptage en trois articles
Face à ces défis géopolitiques, économiques, voire écologiques, l’Europe se situe à un tournant décisif, qui rend les questions de production locale, d’accès aux matières premières, de recyclage et de réglementation des batteries plus pertinentes que jamais. Ce contexte complexe et ces enjeux variés seront explorés dans notre série de trois articles. Nous aborderons les thèmes suivants :
- l’état des lieux de la production de batteries en Europe et les défis du financement des projets,
- l’accès aux matériaux critiques, les stratégies de recyclage,
- et enfin les ambitions autour du passeport batterie que l’UE envisage de mettre en place à moyen terme.
Cette série d’articles vise à offrir une analyse approfondie et multidimensionnelle des défis et des opportunités que présente le secteur des batteries électriques en Europe. En explorant ces divers aspects, nous espérons fournir aux lecteurs une compréhension claire de la manière dont l’Europe peut et doit naviguer dans ce paysage complexe pour sécuriser son avenir énergétique et écologique.
[1] https://www.eca.europa.eu/ECAPublications/SR-2023-15/SR-2023-15_FR.pdf
[2] https://www.acea.auto/pc-registrations/new-car-registrations-13-9-in-2023-battery-electric-14-6-market-share/
[3] https://about.bnef.com/blog/global-energy-storage-market-to-grow-15-fold-by-2030/
[4] https://www.mckinsey.com/featured-insights/sustainable-inclusive-growth/chart-of-the-day/the-highest-form-of-battery
Lisez l’intégralité de la série sur les batteries électriques en Europe :
- Batterie électrique en Europe, d’un enjeu géopolitique à un enjeu écologique
- Entre ambition et incertitude, le long périple de la batterie produite en Europe
- Accès aux matières premières et recyclage des batteries usagées, deux piliers pour une transition écologique réussie
- Passeport batterie : dernier morceau vers un cycle de la traçabilité intégrale