Chroniques de la transformation durable… 9) Massification

Cédric Baecher, Partner au sein de Wavestone, nous offre un éclairage unique sur la transformation durable dans une série publiée dans le magazine REFLETS. Cette série est structurée autour de dix défis clés, reflétant les réalités concrètes rencontrées par les décideurs et acteurs. Ces articles offrant une lecture essentielle et des réflexions profondes sur des enjeux cruciaux pour notre époque.

Article publié dans le magazine REFLETS (communauté ESSEC Alumni) N°155, janvier 2025.


Dans le numéro 146 du magazine REFLETS ESSEC Alumni, nous introduisions un cadre de lecture de la transformation durable, articulé autour de dix défis inspirés de situations réelles, rencontrées sur le terrain au contact de décideurs et d’acteurs. Pour poursuivre cette réflexion, nous menons une série de chroniques thématiques approfondissant chacun des dix enjeux : culture, complexité, incertitude, polémique, performance, données, pouvoir, narratif, massification, leadership.

Pour chaque chronique, nous invitons un ou plusieurs grand(s) témoin(s) à partager leurs idées et éclairages, à la lumière de leur sensibilité et de leurs expériences. Merci à Carole Le Gall (ingénieur général du corps des Mines, senior vice-president de TotalEnergies chargée du développement durable et du climat) d’avoir apporté sa contribution à cette neuvième chronique.

Les opinions exprimées dans cet article reflètent exclusivement les positions des auteurs et ne correspondent pas nécessairement à celles de leurs organisations.

Souveraineté, compétitivité, entrepreneuriat

La « transition » (massification de la transformation durable) est impérative pour atteindre les objectifs fixés par les cadres et accords internationaux de référence, visant notamment à accélérer la décarbonation de l’économie (Accord de Paris sur le climat, Green Deal européen…).

En termes d’objectifs, la transition doit permettre d’assurer et préserver la sécurité d’approvisionnement (aucun pays, territoire, aucun acteur économique n’étant prêt au moindre compromis en la matière, que ce soit pour l’énergie, l’eau, l’alimentation…), mais aussi de concilier le développement d’une économie bas-carbone avec les attentes sociétales en matière de prospérité et progrès socioéconomique.

La transition doit être juste,c’est-à-dire qu’elle doit intégrer un ensemble de contraintes d’accessibilité et compétitivité des solutions proposées.

Tous ces objectifs sont indissociables.

« En termes de moyens, alors que la transition écologique appelle à la sobriété voire à la décroissance (décroissance du gaspillage), la transition juste requiert en fait aussi et surtout un effort majeur de réindustrialisation. »

Il nous faut moderniser voire réimplanter localement des infrastructures industrielles permettant de répondre avec moins d’impacts négatifs mondiaux aux besoins des populations locales et de chaque pays. Avec tout ce qu’une telle réindustrialisation implique en matière de planification, programmation,concertation entre parties prenantes, mobilisation partenariale et coordination d’un effort collectif, y compris aux interfaces entre plusieurs secteurs, filières et profils d’acteurs.

« Cette transition est une révolution industrielle, un mouvement Schumpétérien de destruction créatrice fondée sur la double impulsion de l’innovation technologique et de la nouvelle donne politique. »

Les Etats sont légitimes pour orchestrer la transition et trouver le meilleur équilibre possible entre l’ensemble des acteurs et paramètres à prendre en compte, pour la défense de l’intérêt collectif à l’échelle mondial et la défense de leurs intérêts nationaux.

La transition constitue un enjeu d’influence internationale où compétitivité, rayonnement et soft power sont de puissants vecteurs de défense des intérêts, de la résilience et de la souveraineté nationale et continentale.

Les entreprises jouent aussi un rôle majeur dans ce processus d’innovation, auquel elles doivent être étroitement associées (co-construction). Les pouvoirs publics définissent les orientations, fixent les règles (permis, cadres réglementaires) et fournissent la visibilité essentielle pour encourager la massification. Les entreprises mobilisent compétences techniques, capacités d’innovation et solutions financières.

« Aussi bien dans le secteur public que dans les entreprises, la transition a besoin d’entrepreneurs (au sens de l’attitude et de l’audace), partageant la conviction que le statu quo n’est pas une option et prêts à accepter et porter leur part de risque. »

Un défi industriel majeur, de long terme

Prenons l’exemple de l’énergie, et plus spécifiquement l’électrification, qui illustre de manière emblématique les multiples défis qui accompagnent la massification de la transformation durable.

Dans un temps court (les 20 prochaines années), la transition énergétique nous impose de devoir complètement rééquiper le monde avec de nouvelles infrastructures majeures, pour tenir nos objectifs en matière développement des énergies bas-carbone.

En particulier, il nous faut développer et moderniser massivement les infrastructures électriques (production mais aussi distribution : lignes à haute tension par exemple). Loin d’être triviale, cette transformation majeure exige de repenser et restructurer tout notre système énergétique, avec à la clé des investissements considérables.

« La transition énergétique ne peut se réduire à un concept. Elle fait référence à des réalités physiques, techniques et socioéconomiques concrètes. Par exemple, elle s’accompagne de besoins considérables en matières et matériaux critiques (la prise de conscience des enjeux géopolitiques nouveaux qui en découlent n’en est d’ailleurs qu’à ses débuts…). »

Des goulets d’étranglement opérationnels se manifestent en plusieurs points des chaînes de valeur. Par exemple, on peut citer les difficultés de certains grands fournisseurs à livrer dans les temps les volumes d’équipements requis (transformateurs, turbines…) pour mener à bien la construction de grands projets d’énergies renouvelables. Ou encore le manque de disponibilité d’infrastructures et outils essentiels, comme les bateaux spécialisés permettant d’installer les éoliennes en mer.

Au-delà des problématiques capacitaires, les défis industriels de la transition et du « passage à l’échelle » révèlent des besoins considérables en compétences de toutes natures(au premier rang desquelles dans les domaines de l’ingénierie technique, notamment pour assurer la conception, l’optimisation et l’implémentation des solutions de la transition), et en équipes dimensionnées à la bonne échelle et se faisant confiance pour mener des projets ensemble.

« C’est tout un écosystème d’acteurs industriels et de services qui doivent entreprendre et innover de manière concertée, tout en continuant à garantir les niveaux de qualité, de fiabilité et de compétitivité attendus… »

Cas d’usage, financements et impacts

La clarification et l’anticipation des usages (sous un angle à la fois qualitatif et quantitatif) constitue un autre enjeu majeur de la massification de la transformation durable.

Si des financements existent pour accompagner la transition énergétique, le principal défi pour les porteurs de projets bas-carbone consiste souvent à sécuriser les usages futurs, par exemple via des contrats d’achat à long terme (off-take), typiquement passés entre un producteur (ayant besoin de garantir ses ventes sur la durée du contrat) et un acheteur (qui s’engage à acquérir une certaine quantité d’énergie à un prix prédéterminé sur une période donnée, par souci de prévisibilité des coûts et de sécurisation des approvisionnements).

De tels contrats permettent d’assurer aux investisseurs un retour sur investissement. La question de la solvabilité des porteurs de projets constitue le défi clé, en matière d’accès aux financements pour permettre la massification.

L’adaptation entre l’offre et la demande en électricité bas-carbone requiert aussi de massifier toutes les solutions de « demand response » (pilotage de baisse de la demande), de stockage d’électricité et de solutions de production d’appoint (comme les barrages ou les centrales à gaz).

« La transition a beau viser un impact positif, tout projet a aussi des impacts potentiellement ou réellement négatifs qui doivent être pesés au regard des impacts positifs attendus. Notamment, tout projet pose la question de son acceptabilité sociale locale. »

Les nouvelles infrastructures dont nous avons besoin pour accélérer la transition énergétique (fermes éoliennes off-shore, centrales de production d’énergie solaire, réseaux de transport…) ont une empreinte sur différents types d’espaces naturels, ce qui soulève par exemple la question des conflits d’usages à anticiper et de la conduite du changement à mener.

Dans le cas des fermes éoliennes off-shore, des couloirs de migration d’animaux marins peuvent être perturbés, et des conflits d’usage peuvent apparaître avec les activités de pêche. Massifier la transition, c’est donc aussi forcément préparer la coactivité.

L’écoconception constitue un outil majeur pour limiter les risques, augmenter les opportunités et assurer une massification responsable (conception d’un projet prenant en compte tous ses impacts – sociaux et environnementaux – tout au long de son cycle de vie : construction, exploitation et démantèlement).

Approche système et courbe d’apprentissage

« La massification de la transition impose de prendre en compte plusieurs échelles d’action, de rechercher le meilleur « mix » entre ces échelles et d’assurer une coordination optimale entre projets et initiatives complémentaires. »

Certains projets prennent tout leur sens à une échelle locale ou régionale, d’autre nécessitent un traitement à échelle plus « macro ». Les arbitrages dépendent des spécificités de chaque projet et de celles de chaque territoire visé.

Le concept de vision fractale (qui s’inspire de structures mathématiques répétitives) fournit une piste intéressante de raisonnement par analogie. En philosophie et pensée systémique, une vision fractale se réfère à une manière d’appréhender le monde, où des motifs et structures similaires se répètent à différentes échelles, suggérant une interconnexion et une cohérence sous-jacentes dans les systèmes complexes.

« La massification de la transition ne peut s’opérer de manière strictement linéaire. Elle repose sur des mécaniques de construction complexes, qui nécessitent des approches de long terme et une acceptation de la complexité, qui allie vision et entrepreneuriat, programmation et prise de risque. »

Il convient d’accepter la réalité de courbes d’apprentissage parfois longues, nécessaires pour identifier les meilleures options en matière de taille critique et de modèle économique.

Mais il convient aussi de se préparer à des accélérations, des mutations rapides, des moments de « cristallisation » où « the winner takes all » : certaines technologies, certains entrepreneurs, certains pays répondront mieux que d’autres aux enjeux de la transition et en tireront un avantage compétitif. Nous voulons en être ! Pour cela renforçons encore nos collaborations pour le développement durable.

 

Cédric BAECHER (E00) est Partner et co-leader de la practice Sustainability du cabinet Wavestone.

Cédric Baecher
Cédric BAECHER, Partner

Lisez l’intégralité des Chroniques de la Transformation Durable :

Chroniques de la transformation durable… 1) Culture

Chroniques de la transformation durable… 2) Complexité

Chroniques de la transformation durable… 3) Incertitude, risque

Chroniques de la transformation durable… 4) Polémiques

Chroniques de la transformation durable… 5) Performance

Chroniques de la transformation durable… 6) Données

Chroniques de la transformation durable… 7) Pouvoir

Chroniques de la transformation durable… 8) Narratif RSE

Back to top