Chroniques de la transformation durable… 8) narratif RSE

Cédric Baecher, Partner au sein de Wavestone, nous offre un éclairage unique sur la transformation durable dans une série publiée dans le magazine REFLETS. Cette série est structurée autour de dix défis clés, reflétant les réalités concrètes rencontrées par les décideurs et acteurs. Ces articles offrant une lecture essentielle et des réflexions profondes sur des enjeux cruciaux pour notre époque.


Article publié dans le magazine REFLETS (communauté ESSEC Alumni) N°154, novembre 2024.


Dans le numéro 146 de REFLETS, nous introduisions un cadre de lecture de la transformation durable, articulé autour de dix défis inspirés de situations réelles, rencontrées sur le terrain au contact de décideurs et d’acteurs. Pour poursuivre cette réflexion, nous menons une série de chroniques thématiques approfondissant chacun des dix enjeux : culture, complexité, incertitude, polémique, performance, données, pouvoir, narratif, massification, leadership.

Pour chaque chronique, nous invitons un ou plusieurs grand(s) témoin(s) à partager leurs idées et éclairages, à la lumière de leur sensibilité et de leurs expériences. Merci à Marie-Claire Daveu (Directrice du Développement durable et des affaires institutionnelles du Groupe Kering) d’avoir apporté sa contribution à cette huitième chronique.

Les opinions exprimées dans cet article reflètent exclusivement les positions des auteurs et ne correspondent pas nécessairement à celles de leurs organisations.

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Secteur du luxe : une responsabilité singulière

Du fait de son empreinte socioéconomique [1], de sa forte dynamique de croissance et de son influence globale, le luxe est un secteur singulier qui a une responsabilité particulière en matière de responsabilité sociétale des entreprises. Avec un réel devoir d’exemplarité dans la conduite de sa transformation durable.

Sous l’impulsion de François-Henri Pinault, Kering s’est positionné dès 2005 comme un pionnier en matière de prise de parole sur les sujets clés de la RSE, identifiés comme décisifs pour la stratégie et la réussite du Groupe. Avec la conviction que « Luxe et développement durable ne font qu’un », et qu’il ne faut pas attendre d’être parfait pour prendre des positions, mobiliser largement les acteurs du secteur pour expérimenter et progresser ensemble.

La transformation durable repose sur un triptyque clé :

  1. La gouvernance (au sens de l’organisation, à distinguer du leadership) ;
  2. L’expertise (pour assurer la crédibilité de l’entreprise par sa connaissance des différents sujets) ;
  3. La communication, qui requiert de bien identifier les enjeux clés et de les relier par un « fil rouge » compréhensible par tous.

« Dès 2013, Kering a créé (au sein de la Direction du développement durable) un poste spécifique dédié à la communication interne et externe, pour construire un socle de messages simples et transparents (en veillant à ne pas « sur-promettre »), assurer le suivi et les évolutions nécessaires du narratif, et conserver sa cohérence et sa lisibilité. »

On peut citer, parmi les messages clés du narratif de Kering, les deux angles suivants :

  • La nécessité des partenariats et du travail collectif (aucun acteur, aussi puissant soit-il, ne peut changer à lui-seul le paradigme économique d’un secteur entier ; chacun doit prendre sa part de responsabilité, apporter sa contribution, mettre en partage ses solutions pour faciliter les synergies et accélérer le passage à l’échelle), Exemples : The Fashion Pact, la Watch & Jewellery Initiative 2030 ;
  • La compatibilité entre éthique et performance(dans un monde de plus en plus conscient de l’importance de « protéger » ses ressources, le rôle de l’entreprise consiste aussi à assurer un repartage pertinent de la valeur, en cohérence avec sa propre performance à long-terme, tenant compte des limites naturelles planétaires et des attentes sociétales).
La transformation, au cœur du narratif

Communiquer sur la transformation durable impose de redonner toute son importance à la sémantique : il s’agit de transformer en profondeur le modèle d’affaire de l’entreprise,i.e. la manière dont elle génère et partage de la valeur.

« Cette notion de transformation doit être placée au cœur du narratif, avec ce qu’elle implique en termes d’ambition, de complexité de mise en œuvre et d’engagement de long-terme pour l’ensemble des métiers et acteurs, tout au long de la chaîne de valeur. »

Pour Kering, il s’agit de « Façonner le luxe de demain» : une aventure collective, reposant sur des efforts collectifs, déployés sur le temps long et engageant une grande diversité de parties prenantes.

Le narratif doit accompagner une ambition forte et mobilisatrice et par conséquent accorder une place importante à la notion d’amélioration continue, pour valoriser les progrès mais aussi expliquer en transparence ce qui ne fonctionne pas encore, et pourquoi.

L’humilité n’est pas incompatible avec l’ambition, au contraire. La transformation fait appel à plusieurs formes d’innovation [2] (technique, socioéconomique…) et comprend nécessairement plusieurs étapes progressives, à présenter pour expliquer et assumer que « tout ne peut pas être parfait du premier coup [3] ».

De manière générale, Kering a fait le choix de déployer en premier lieu une communication factuelle, pour asseoir la crédibilité du Groupe dans le champ de la transformation durable.

Par exemple, Kering a ainsi développé dès 2015 un outil pionnier de reporting et d’aide à la décision, l’EP&L (Environmental Profit & Loss, ou compte de résultat environnemental), dont la méthodologie est disponible en source ouverte et qui vise à mesurer et quantifier les impacts environnementaux [4] des activités tout au long de la chaîne d’approvisionnement.

Décliner les contenus, parler à tous les publics

Le narratif de la transformation durable doit être décliné à différents niveaux, pour répondre à une diversité de profils et d’attentes selon les publics, internes (collaborateurs de l’entreprise, sensibilisés ou non) et externes : contenus « techniques » pour les experts (actionnaires, experts académiques, presse spécialisée…), contenus « informatifs » voire ludiques[5] pour le grand public, etc.

« La communication en transformation durable peut s’avérer protéiforme, requérant une connaissance fine des règles et codes de chaque communauté (ONG, investisseurs…). »

Pour faciliter une bonne compréhension du narratif et renforcer son impact, il apparait essentiel de mettre en lumière :

  1. Les liens explicites entre les activités de l’entreprise et les différents enjeux identifiés (par exemple, continuité des opérations vs disponibilité durable des ressources naturelles : eau, matières premières, biodiversité…) ;
  2. Les réalités tangibles et actions concrètes mises en œuvre pour apporter des solutions.

Sur ce second point, on peut par exemple citer les engagements de Kering [6] consistant à régénérer d’ici 2025 un million d’hectares de fermes et pâturages servant à la chaîne d’approvisionnement (avec le Fonds Régénératif pour la Nature créé en partenariat avec l’ONG Conservation International).

La pédagogie est essentielle,même pour les publics les plus avertis, en raison de l’évolution et de l’interconnexion croissante des cadres de référence en vigueur.

On peut citer, à titre d’exemple, la publication récente de la nouvelle méthodologie « FLAG » du SBTi [7]), ainsi que l’élargissement progressif du champ d’application des objectifs fondés sur la science, qui ne se limitent plus à la lutte contre le changement climatique et intègrent aussi désormais l’érosion de la biodiversité, pour favoriser les synergies.

Pour relayer son narratif de la transformation durable, Kering mobilise par ailleurs un réseau interne d’experts et participe à plusieurs conférences [8], initiatives internationales [9], partenariats académiques [10], projets conjoints avec des ONG et acteurs de la société civile…

Incarner, inspirer, donner envie d’explorer

« Le narratif de transformation durable doit comporter un « récit inspirationnel », notamment à destination des jeunes générations et des talents les plus créatifs, pour leur donner envie de se projeter dans les réalités concrètes, vécues par l’entreprise et ses parties prenantes. »

Les outils audiovisuels et les réseaux sociaux jouent à ce titre un rôle décisif, pour donner une vue d’ensemble « vivante » de la stratégie conduite par l’entreprise, encourager l’émulation et la reconnaissance du travail accompli.

Depuis plus de dix ans, Kering a ainsi investi dans la production de plusieurs films et supports destinés à partager, relayer, illustrer et incarner [11] le narratif de sa transformation durable et sa vision.

Les témoignages, prises de parole, conversations (y compris avec des non-experts) sont essentiels pour compléter les arguments d’autorité et la communication factuelle, en tenant compte des spécificités culturelles propres à chaque zone géographique.

  • La série « In Conversation With» permet d’inviter des experts et personnalités [12] à échanger sur les thématiques reliant luxe, mode et développement durable.
  • Depuis 2023, le podcast Fashion Our Future invite le grand public à interroger les actes de consommation et repenser les relations entre la mode et la planète, autour de thèmes clés (traçabilité, circularité, nouveaux matériaux, éthique…).

Enfin, il est essentiel d’adapter le narratif et ses contenus aux nouvelles plateformes de communication et aux évolutions des attentes des récepteurs, en donnant de manière pragmatique la priorité aux contenus concrets, courts, visuels et parlants, pour maximiser l’impact global (Kering mobilise par exemple le réseau social WeChat en Chine). Le grand public s’intéresse notamment aux actions concrètes et directement connectées aux produits et marchés de l’entreprise.

Les écueils demeurent bien sûr multiples : saturation des espaces de communication, priorisation des sujets pour rester audibles et se démarquer, défi permanent de lutte contre le greenwashing (attirer l’attention, sans concession sur la crédibilité des contenus), gestion du zapping (conserver l’attention des audiences, sans gommer la complexité des enjeux), montée globale en expertise sur les sujets de «Sustainability» (expliquer clairement les résultats et impacts, face à des exigences croissantes)…

C’est aussi sur le front de la communication, qu’il nous appartient de relever l’immense défi de la transformation durable !

Cédric BAECHER (E00) est Partner, co-leader de la practice Sustainability du cabinet Wavestone, expert indépendant Energie – Climat – Innovation auprès de la Commission Européenne et Conseiller du Commerce Extérieur de la France.


Cédric Baecher
Cédric Baecher, Partner


Lisez l’intégralité des Chroniques de la Transformation Durable :

Chroniques de la transformation durable… 1) Culture

Chroniques de la transformation durable… 2) Complexité

Chroniques de la transformation durable… 3) Incertitude, risque

Chroniques de la transformation durable… 4) polémiques

Chroniques de la transformation durable… 5) performance

Chroniques de la transformation durable… 6) données

Chroniques de la transformation durable… 7) pouvoir

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